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semble-t-il pas que, vers la fin de la craie, le rocher hardi de Sainte-Victoire, maintenant renversé sur sa base retournée, ait dû surgir, et, en même temps que lui, d’autres chaînes, telles que la Sainte-Baume et le mont Ventoux, aujourd’hui médiocres, alors peut-être émules de nos Alpes, dominant toute la région provençale, dont leur redressement vint modifier l’ancienne économie ? Chacune d’elles, nous allons le voir, une fois érigée en massif, admettait à ses pieds et sur l’un de ses flancs, conformément à ce que montrent en Suisse le Jura, le Mont-Blanc et les Alpes centrales, une ou plusieurs cuvettes lacustres, véritables crevasses servant de compensation aux cimes qui s’élèvent au-dessus, et d’autant plus profondes que les escarpemens voisins sont eux-mêmes plus abrupts.


III

Il reste bien des étapes à parcourir et des changemens géognostiques et organiques à passer en revue avant d’apercevoir la Provence actuelle, avec ses limites et son relief, avec la végétation clairsemée de ses collines trop souvent déchirées, malgré tout gracieuses, et dont la silhouette se détache si délicatement sur l’azur intense des horizons. En touchant au tertiaire, en nous avançant au sein de cette période, qui précède immédiatement la nôtre, nous sommes effectivement bien éloignés encore du terme final. Les étages, c’est-à-dire les dépôts partiels, et par conséquent les subdivisions enchaînées l’une à l’autre de tout l’ensemble, représentent sans doute un espace chronologique des plus considérables. Sous nos yeux, la nature physique et la nature organique changent peu ou par degrés insensibles ; elles se dégradent, il est vrai, sous l’influence personnelle de l’homme qui fait le vide autour de lui et remplace la végétation spontanée et la faune des animaux sauvages par la culture des plantes alimentaires ou usuelles et l’élève des animaux dont il se nourrit ou dont il se sert. Avant l’homme, l’intelligence active d’aucune créature ne remplissait le rôle qu’il s’est attribué. Le monde vivant était livré aux seules forces qui tiennent à la concurrence vitale naturellement exercée. La balance générale s’établissait d’elle-même entre tous les êtres et les maintenait les uns par les autres, par le fait de la sélection et de l’adaptation. En un mot, l’avantage se trouvait invinciblement acquis aux mieux armés, à ceux que leurs aptitudes mettaient en harmonie plus directe, plus intime et plus complète avec les circonstances de milieu.

Lorsque les circonstances ont changé, les êtres, par une conséquence nécessaire, ont également changé ; mais l’expérience qui