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créanciers de l’état dussent être payés sur les biens du clergé, parce qu’il n’y a pas de dette plus sacrée que les frais du culte, l’entretien des temples et les aumônes des pauvres[1]. » A l’heure même où elle s’emparait des terres du clergé, en lui déniant le titre de propriétaire, la révolution proclamait le droit de l’église de France à vivre du revenu des biens qu’on lui enlevait[2].

Voilà quels argumens ont décidé l’assemblée constituante à séculariser la fortune du clergé ; voilà les principes qu’on mettait en avant en 1789. Est-on curieux de voir en quels termes la constituante a procédé à la sécularisation des biens de l’église ? Voici le texte de son « décret » du 2 novembre 1789, décret dont presque tous les termes étaient empruntés à la rédaction de Mirabeau : « L’Assemblée nationale déclare que tous les biens ecclésiastiques sont à la disposition de la nation, à la charge de pourvoir d’une manière convenable aux frais du culte, à l’entretien de ses ministres et au soulagement des pauvres[3]. » Cela est-il assez net et l’engagement est-il assez solennel ? Comment, après cela, s’étonner que le clergé ose prétendre que son traitement n’est qu’une indemnité et que son maigre salaire constitue une véritable dette ? Comment contester qu’en bonne justice il a, vis-à-vis de l’état et de la nation, une créance que le pays ne peut nier qu’en violant la parole donnée en son nom par la constituante et en se mettant moralement dans l’obligation de restituer au clergé les biens qui le faisaient vivre ? Est-ce au moment où la France s’apprête à fêter le centenaire de la révolution qu’elle ira oublier de pareilles promesses ? Ce serait une singulière manière de célébrer 1789 que de manquer à tous ses engagemens. Supprimer le modeste traitement du clergé en gardant tout le revenu de ses biens sécularisés, ce ne serait pas seulement faire banqueroute à l’église, ce serait faire banqueroute à la révolution.

Car, encore une fois, c’est la révolution, bien avant Napoléon, qui a reconnu le droit du clergé à un traitement Le concordat n’a fait que reprendre, après la tourmente de la Terreur et le chaos du Directoire, l’œuvre de la constituante. En traitant avec l’église, en rétablissant le budget des cultes, tout comme en rédigeant le code

  1. Discours du 30 octobre 1789.
  2. Dans un second discours, le 2 novembre 1789, Mirabeau était peut-être plus explicite encore. Il déclarait que les biens ecclésiastiques avaient été « irrévocablement donnés, non point au clergé, mais à l’église, mais au service des autels, mais à l’entretien des temples, mais à la portion indigente de la société. »
  3. Pour montrer ce qu’elle entendait par traitement convenable, l’assemblée constituante votait en même temps, toujours sur la proposition de Mirabeau, l’article suivant : « Que, dans les dispositions à faire pour subvenir à l’entretien des ministres de la religion, il ne puisse être assuré à la dotation d’aucun curé moins de 1,200 livres par année, non compris le logement et les jardins en dépendant. »