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L’idéalisme n’est pas le défaut des démocrates du jour ; pour eux, tout se résout en questions d’argent et de force matérielle. Ils ne voient point que plus les prêtres seront rares, plus ils seront vénérés et acquerront d’ascendant. Ils ne comprennent point que, pour être pauvre, le prêtre n’en sera que plus redoutable, car, pour prêcher l’évangile, la pauvreté peut être une puissance.

Est-il certain, du reste, que, même privé des droits que lui reconnaît la libre Amérique, le clergé tombe tout entier dans la misère ? Il est permis d’en douter. En bien des contrées, dans le nord, dans l’ouest, dans le midi, le paysan, qui n’est pas encore habitué à se faire enterrer par le garde champêtre, se résignera difficilement à voir sa commune sans prêtre et ses enfans sans catéchisme. Presque partout, les classes élevées, les classes riches, qui sont revenues à l’amour ou au respect de la religion, se feront un devoir de soutenir le clergé. En mainte paroisse le curé, ne recevant plus de traitement de l’état, tombera dans la dépendance des grands propriétaires. Il deviendra en quelque façon l’aumônier du château. On verra se rétablir une sorte de droit de patronat sur les églises ; et ces influences ne s’exerceront point au profit des institutions actuelles. Les caisses des diocèses et des paroisses étant principalement alimentées par les adversaires du gouvernement, le clergé deviendra plus que jamais un instrument politique aux mains des ennemis de la république. Si les laïques prennent plus d’influence dans l’église, leur ascendant s’exercera presque partout dans le sens opposé au pouvoir, contre les hommes qui leur auront mis dans la main une pareille arme de guerre.

Rassurez-vous, disent les partisans de la séparation. Entre l’église et l’état nous aurons soin d’élever des fortifications assez hautes pour mettre la société laïque à l’abri de tout assaut du clergé et des cléricaux. En rendant à l’état sa liberté, nous n’aurons garde de rendre à l’église la sienne. Si, pour la réduire à l’impuissance, il ne suffit pas de la pauvreté, nous forgerons à son usage de bonnes lois de fer qui en auront raison. — Mais alors, ce que vous offrez à la France, ce n’est plus la liberté religieuse, c’est tout bonnement la persécution. Nous n’étions pas sans nous en douter ; mais si nous en sommes effrayés, c’est encore moins pour la religion et pour la liberté de conscience que pour l’état et pour la paix sociale ; car, de Dioclétien à Bismarck, l’histoire montre comment tournent les persécutions, et il faut avoir dans la force matérielle une confiance bien grossièrement naïve pour ignorer que, devant la conscience, la force n’est pas toujours la plus forte.

En résumé, sous prétexte d’achever l’œuvre de la révolution, nos radicaux, ministériels ou non, sont jaloux de recommencer sous une