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Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 74.djvu/89

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seulement que la population subjuguée oublie ses propres usages et adopte ceux du vainqueur; encore est-ce toujours incomplètement. Dans les fouilles, une couche donnée représente donc deux choses : l’état de la population dont les habitations détruites avaient déjà formé la couche placée au-dessous et, en outre, ce que les vainqueurs y avaient ajouté quand ils ont été ruinés à leur tour. Ce principe est absolu. Ainsi, on voit telle forme de vase, tel procédé de fabrication, se continuer d’une couche à une autre et quelquefois se perpétuer dans toutes les couches. Mais chacune de celles-ci offre un élément nouveau apporté par le vainqueur. Dans les deux couches troyennes inférieures une certaine espèce de vases noirs ne se rencontre pas; elle apparaît dans la troisième couche, mêlée avec les vases des deux premiers étages ; elle signale l’arrivée sur cette colline d’hommes survenus tout à coup et qui y ont séjourné quelque temps.

Je présente les faits au lecteur dans leur plus grande simplicité et tels que nous les avons plusieurs fois constatés. Admettons qu’il en soit toujours ainsi et que la succession historique des couches soit claire et régulière, comme il vient d’être dit. On va donc, par des fouilles opérées sur beaucoup de points, créer autant de collections où les objets provenant d’une même couche seront mis ensemble et où les groupes seront disposés dans l’ordre de superposition locale où on les a trouvés. Supposons un musée établi dans ces conditions et de telle sorte que les groupes d’objets identiques, provenant de sites différens, soient placés à la même hauteur sur une tablette horizontale ; cela formera un damier ; on aura devant soi, dans le sens vertical, la succession des produits pour chacun des sites fouillés; dans le sens horizontal, leur existence simultanée dans plusieurs sites. Cet agencement du musée présentera le tableau historique d’un grand nombre de populations, avec leurs synchronismes démontrés par l’identité des produits. Tel serait l’idéal d’un musée des antiques si l’histoire de l’humanité s’était déroulée avec la simplicité d’allure que nous supposons. A-t-on du moins, dans la formation de nos musées et dans les livres qui les reproduisent, marché vers cet idéal? Oui, sans aucun doute. La création d’étages archéologiques est un principe partout adopté. Ces degrés portent le nom d’âges et sont caractérisés par la présence ou l’absence de certains produits : on distingue les âges de la pierre, du bronze, du fer, et dans chacun d’eux des subdivisions et des périodes de transition. Mais il n’est pas démontré que chacun de ces âges ait régné simultanément dans tous les pays, parce que les communications entre peuples ont été longtemps difficiles ou impossibles et que la civilisation n’a pas marché du même pas sur toute la terre.