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l’Angleterre, qui peuvent absorber deux ou trois fois ce qu’ils consomment actuellement. Nous pouvons conclure de l’examen que nous venons de faire qu’aucun pays d’Europe, sauf la Russie méridionale, qu’aucune contrée voisine, sauf notre colonie africaine, ne peuvent fournir à la France un renfort suffisant pour combler le déficit de sa production et permettre à l’habitant des campagnes de connaître le goût de la viande fraîche autrement que par ouï-dire. Les pays d’Europe sont tous, sans autre exception que la Tauride, situés dans la zone climatologique où la vie pastorale libre est impossible, où la stabulation s’impose au troupeau pendant de longs mois d’hiver, où par conséquent l’élevage est tributaire de l’agriculture et ne peut donner ses produits qu’à un prix de revient à peu près aussi élevé qu’en France. Dans les pays d’Asie et d’Afrique les plus rapprochés de nous, où le climat permet au pasteur la vie primitive, l’élevage à peu de frais, les soins à donner au troupeau sont inconnus, le mouton n’est pas même comestible, le bœuf ne trouve pas à se nourrir ; ils ne peuvent fournir aucun appoint. En dehors donc des 200,000 bœufs que l’Europe centrale fournit à la France pour y être engraissés avant d’être consommés, des 2 millions de moutons dont la Russie fournit à peu près les deux tiers et l’Algérie un tiers, nous n’avons rien à attendre. Les difficultés que nous avons constatées arrêtent l’essor de cette industrie, la cherté des transports par terre la rend peu lucrative ; un mouton amené de la Russie méridionale, où il coûte rarement plus de 7 fr., après avoir acquitté les droits en Autriche pour y prendre un certificat de fausse origine, après avoir payé les frais de transport et de conduction, et les droits de 3 francs en France, laisse un assez mince bénéfice à son propriétaire, le jour où il le vend à La Villette.

Lors donc que l’on parle de viandes exotiques, de menaces de concurrence contre notre agriculture, ce sont les pays d’outre-mer que l’on a en vue. Il nous reste à les étudier au double point de vue de leur production et des moyens qu’ils ont d’en faire profiter les pays de l’Europe occidentale.


II

Le coup d’œil que nous avons jeté déjà sur le planisphère nous a appris que la région climatologique où nous devons les chercher est étroite, que, si elle a quelque étendue dans l’hémisphère nord, elle est relativement peu profonde dans l’hémisphère sud : nous savons aussi que seuls les pays peu peuplés peuvent prétendre à ce rôle de fournisseurs des marchés d’Europe. La densité de la population a pour premiers effets de surélever le prix de la terre, de déterminer l’activité agricole aux dépens de la passivité pastorale et enfin de