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pisé des habitations antérieures, dont la partie basse seulement était faite de pierres hourdées de boue. Entre ces petits murs anciens et le pied des maisons nouvelles, il y avait une couche épaisse et meuble de décombres. Comment plonger dans ces matières dépourvues de cohésion sans que les bâtisses supérieures s’écroulent? Toute personne qui visitera le site des anciennes villes explorées se rendra compte de cette impossibilité en regardant de face les tranches verticales des massifs.

Les trois citadelles ci-dessus nommées appartiennent à l’âge du bronze. Elles sont donc antérieures aux poèmes d’Homère, même à l’Iliade, qui parle du fer en plusieurs endroits. Les chants de l’Iliade sont de dates postérieures à l’invasion dorienne. que l’on place généralement au XIIe siècle avant Jésus-Christ. Mais les événemens chantés dans l’Iliade (ceux du moins qui ne sont pas des mythes) ont eu lieu avant cette invasion. Ces trois citadelles et la période du bronze à laquelle elles appartiennent sont par conséquent plus anciennes que l’invasion des Doriens. De combien l’ont-elles précédée? c’est ce que l’examen scientifique des collections dira peut-être. Il dira aussi, je pense, quelle race d’hommes, quel peuple a fabriqué les objets qu’elles renferment ; il distinguera, s’il y a lieu, les diverses provenances et les produits de l’industrie locale. J’avoue que, sur tous ces points, je considère comme prématurées beaucoup d’assertions émises dans le présent volume ; et quelques-unes peuvent déjà être tenues pour erronées. Il est vrai que ces inductions hasardées ne doivent pas être portées au seul compte du docteur Schliemann. Sur les quatre cents pages dont se compose le volume de Tirynthe, cent soixante-cinq seulement sont de lui ; il y a quarante-cinq pages de tables ; le reste a été rédigé par des architectes ou érudits allemands. Ainsi l’ouvrage est le résultat d’une collaboration, où les auteurs n’ont pas toujours été d’accord entre eux. Quant aux faits, ils ont été certainement bien observés et reproduits avec exactitude. Les fouilles de Tirynthe se faisaient en pays civilisé, sous les yeux des Grecs, amoureux jaloux de ce que leurs ancêtres ont laissé, au bénéfice des musées grecs et sous la surveillance éclairée d’un inspecteur que j’ai vu à l’œuvre à Délos, de feu Stamatakis. Les fouilles ont été bien faites et le volume imprimé en donne fidèlement les produits. Quant aux interprétations, elles ne doivent pas s’improviser, ni surtout être inspirées par un esprit de système.

Ceux de nos lecteurs qui n’ont pas vu la Grèce voudront savoir ce que c’est que Tirynthe, lieu qui n’a pas la célébrité de Mycènes ou de Troie. La plaine d’Argos s’ouvre vers le sud. En venant de la mer, on a sur la droite le port de Nauplie ; sur la gauche, le