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pays du monde, l’objet d’une protection à la plus baute puissance. On a trop construit de navires à vapeur, et les frets sont tombés au-dessous du prix rémunérateur. Comment s’en étonner ? L’Angleterre s’est lancée dans la carrière, avec sa force acquise, son entrain habituel et sa vieille prédominance. Mais voici la plupart des autres nations qui donnent des primes à la construction des navires à vapeur et à la navigation. La France y dépense une douzaine de millions tous les ans ; l’Italie se met à en faire autant ; l’Espagne a des droits différentiels qui protègent sa marine. Les nations qui ne donnent pas de primes directes en fournissent de dissimulées sous le nom de subventions à des lignes postales. Chaque jour on en crée de nouvelles. Comment serait-il possible que, dans l’ensemble du monde, avec tous ces encouragemens factices, le nombre des navires ne devînt pas exubérant par rapport aux marchandises à transporter ? La disproportion doit être d’autant plus grande que le protectionnisme, qui partout protège la marine, prend soin de réduire le plus possible la quantité de fret ; il tâche, en effet, d’entraver, par des droits protecteurs, ou même d’arrêter complètement l’importation de toutes les marchandises étrangères : le blé, le maïs, le bétail, la houille, le fer. Si vous voulez avoir une marine, si vous la subventionnez, il faut cependant bien qu’elle transporte ; or elle ne peut transporter que des marchandises venant de l’étranger ou allant à l’étranger. La politique protectionniste de la France et de beaucoup d’autres pays se résume dans cette admirable maxime : Avoir la plus forte marine possible, grâce à des subventions et des primes, avec le minimum de transports de marchandises, grâce aux prohibitions et aux droits protecteurs.

Les effets déplorables du régime protectionniste ne sont pas moins certains dans l’industrie métallurgique en général. Partout on la protège par des droits extravagans : en France, ils représentent 50 à 60 pour 100 de la valeur courante de la marchandise. Cependant, c’est là une des industries les plus souffrantes. C’est que partout, on s’est efforcé par des droits de douane de la développer à outrance. Aux États-Unis, en Russie, en Autriche, en Italie, en Espagne, comme chez nous, on a persuadé aux nationaux qu’ils ne sauraient élever assez de hauts fourneaux et d’ateliers de construction. On est arrivé ainsi à des résultats singuliers : les journaux spéciaux rapportaient, il y a quelques semaines, qu’on avait vendu sur le marché anglais une ou deux locomotives faites en Espagne. Voilà un beau succès ! Vrai ou inventé, le fait est typique ; le trésor espagnol, qui est à bout de ressources, trouverait encore le moyen de subventionner son industrie de façon qu’elle pût, à prix d’or versé par les contribuables, faire concurrence sur leur propre