Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 75.djvu/450

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

nature parfaitement harmonieuse. Il aimait à ce point la correction et la tenue, qu’il se reprochait, en voyage, de courir deux jours sans cravate ; et, dans sa musique comme dans sa toilette, il eut toujours l’horreur du négligé. Mais il avait une égale horreur de la raideur et de la sécheresse : personne ne fut moins gourmé, moins pédant que lui, plus enclin à l’expansion et à l’enthousiasme ; nul talent plus que le sien ne garda jusque dans la maturité la grâce et l’attrait de la jeunesse, presque de l’adolescence.

Entre toutes les œuvres de Mendelssohn, le Songe d’une nuit d’été possède cette fraîcheur juvénile. L’ouverture est une page de la vingtième année, première et merveilleuse éclosion de génie que le maître n’eut jamais à désavouer. Cette ouverture seule est comme un tableau de féerie : elle est traversée d’un bout à l’autre par l’essaim bourdonnant des sylphes, par les rondes murmurantes des esprits aériens. Mendelssohn a trouvé ici la musique de l’air, comme dans l’ouverture de la Grotte de Fingal, il a trouvé la musique des eaux. De l’air, plus subtil encore que l’onde, il a su rendre la transparente fluidité, et jusqu’à cette buée lumineuse et tremblante qui flotte sur la terre aux jours d’été. Danse d’atomes ou murmure d’abeilles, fourmillement d’insectes sous l’herbe chaude, tout ce qui bruit, tout ce qui brille dans un rayon de lumière, tout cela brille, tout cela bruit dans l’étincelante symphonie. Dès ce premier essai, Mendelssohn est un maître : maître de sa pensée u’il suit jusque dans les plus ingénieux détours, maître de l’orchestre, qui ne connaissait avant lui ni ces alliances, ni ces oppositions de timbres, ni ces résonances de cristal. Quatre accords, progressivement épanouis, ouvrent et ferment ce prologue musical avec une solennité mystérieuse. A la fin surtout, ils donnent l’impression d’un rideau lentement abaissé sur le monde fantastique que nous venons d’entrevoir ; leur succession est si naturelle, que M. Gounod l’a comme instinctivement reproduite au premier tableau de son Faust, quand les ombres, un instant dissipées, voilent de nouveau la passagère apparition de Marguerite. C’est là une de ces rencontres fortuites qu’on ne saurait incriminer et que Mendelssohn absoudrait le premier ; car, dans ces pages mêmes, non loin des accords en question, Weber aurait reconnu, lui aussi, toute une phrase de la barcarolle d’Obéron.

Weber d’ailleurs, un peu avant Mendelssohn, avait été l’ami des elfes et des lutins. Dans un chœur délicieux, il avait fait voltiger les aimables génies de l’air sur le front de leur prince endormi parmi les roses. Mais les petits êtres qui courent sur l’herbe au début d’Obéron n’ont pas tout à fait le même caractère que dans le Songe d’une nuit d’été : ils sont plus graves et plus affectueux ; ils ont pour l’homme moins d’ironie et plus de bienveillance. D’eux, plutôt que des sylphes de