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Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 75.djvu/463

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ne voyons pas ici le talisman, accessoire indispensable du genre… Mais si ! le roi des génies l’envoie chercher par son page. — Au fait, tandis que, dans les autres féeries, tous les personnages indistinctement suspendent le dialogue de temps à autre pour lancer un couplet, ici le génie, son page et la fée ont ce privilège : même ils ne parlent qu’en vers ; le génie et la fée en grands vers, et le page en petits ; mais ils ne les chantent pas. Chose curieuse ! Non-seulement ce roi des génies est un roi des génies et cette reine des fées est une reine des fées comme nous en avons beaucoup vu, mais ce page,.. faut-il le dire ? Pendant l’entr’acte, une parente de la jeune actrice qui joue ce rôle reçoit les félicitations d’une vieille amie de la famille ; celle-ci avoue sa surprise : « ! On m’avait raconté qu’elle faisait un clown ; moi, je m’étais dit : Un clown à l’Odéon, ça n’est pas possible 1.. » Et pourtant si, en effet, c’est un clown. Un clown dans un chef-d’œuvre ! Et dans un chef-d’œuvre de Shakspeare !

Mais juste ciel ! — nous commençons à nous le demander tout bas, — est-ce bien un chef-d’œuvre ? Voici Hélène et Démétrius qui traversent la scène ; puis Hermia et Lysandre ; resté seul, Lysandre s’endort. Le clown approche le talisman de ses yeux. Hélène passe, au moment où Lysandre s’éveille : par l’effet du talisman, il lui adresse une déclaration ; elle pense qu’il se moque ; elle s’enfuit, il la suit. Surviennent les artisans ; ils commencent leur répétition ; mais l’un d’eux, le jocrisse, qui devient, comme dans toutes les féeries, le boute-en-train de la fête, craignant de prendre le serein, veut mettre son bonnet de nuit, et soudain par une nouvelle farce du clown, il se trouve affublé d’une tête d’âne : pour le coup, voilà un truc ! C’est donc une féerie comme les autres, décidément ? Quelle déchéance ! Et, pour une féerie, elle est indigente ; comme pièce à trucs, elle en manqué : une tête d’âne, c’est peu !

Mais voici où les choses se gâtent ; jusqu’ici, après un commencement de pantomime, nous avions vu un bout de vaudeville et quelque féerie séparés par un peu de comédie : vaudeville et féerie se fondent à présent, et pour donner dans le sérieux. Démétrius s’est endormi à son tour, et, à lui aussi, le talisman, manié par le roi des génies, a touché les paupières : à son réveil, il aime de nouveau Hélène, aimée à présent de Lysandre, de sorte que ces deux hommes se retrouvent rivaux. Hermia reparaît, et les deux femmes se disputent ; elles ne se disputent pas pour rire, et elles font rire : ces princesses, qui prétendent se quereller tout de bon à la suite de quiproquos pareils, ne sont ni plaisans ni émouvantes ; elles sont ridicules. Mais que dire de leurs princes ? Eux aussi, par l’effet des mêmes accidens, se déclarent pathétiquement la guerre. « A moi, prince, deux mots ! .. — A quatre pas d’ici, je te le fais savoir ! .. » Et comme le clown, embusqué derrière les