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cortège, au son de la musique finale, s’étage sur l’escalier : tout en haut, dans un nuage lumineux, apparaissent en groupe le roi des génies, la reine des fées et leur clown. Allons ! Shakspeare n’a plus guère de chances de faire recevoir une pièce à la Comédie-Française, ni de faire reprendre celle-ci à l’Odéon, mais il lui reste l’Hippodrome et l’Eden.

Telle est la relation exacte de la découverte du Songe d’une nuit d’été, en 1886, par une chambrée de Parisiens. Il n’est jamais imprudent, au théâtre, de faire fond sur l’ignorance du public ; il est téméraire de compter sans elle.

J’ai dit cependant qu’il se trouvait dans la salle quelques personnes, au moins le soir de la première représentation, qui avaient ce privilège de connaître la pièce. Pendant que les autres éprouvaient ce que nous savons, que faisaient donc ces grands clercs ? Ils excusaient les autres. Une minute seulement, ils faillirent manquer de philosophie : c’est quand les huées firent tapage. Cette petite émeute leur semblait irrévérencieuse et sotte ; elle les incommodait. Comment traiter si mal Shakspeare, même s’il était dans son tort, et à quoi bon ? C’était, à coup sûr, un trait d’inconvenance et de naïveté. La vue en était gênante, comme celle de tout acte de grossièreté ou de brutalité plutôt, quelle qu’en soit l’occasion, contre un personnage respectable, — sans compter que cet éclat par lui-même était désagréable aux nerfs et qu’il menaçait d’interrompre ou du moins de troubler une expérience qu’on suivait avec curiosité. Mais encore ! .. n’est-il pas des outrages pénibles à voir et qu’on aurait voulu prévenir, et qu’on hésiterait à venger ? C’est le cas lorsque la personne respectable a eu la mauvaise chance de s’attirer l’insulte, au moins par un malentendu. « Mon ami, dirait-on volontiers à l’insulteur, j’aurais voulu vous empêcher de parler tout à l’heure, car vous aviez tort, et il m’a été fâcheux d’entendre vos paroles ; mais je vois les raisons de votre tort, et, puisque je n’ai pu vous fermer la bouche à temps, je n’aurai pas le courage de demander que l’on vous coupe la langue. » C’est ainsi qu’à l’Odéon, même en ce vilain pas, notre impatience fut tempérée par l’intuition qu’avait chacun de nous, isolé dans sa place, des causes du mécontentement qui grondait alentour.

Oui, du temps de Shakspeare, en Angleterre, tous les élémens du monde dramatique étaient jeunes, et l’imagination sur la scène et la sympathie dans la salle ; un auteur jetait par brassées devant le public, avec une prodigalité enfantine, des fleurs de trois ou quatre espèces, toutes fraîchement écloses ; le public, avec une avidité enfantine, s’émerveillait de les voir et de les respirer toutes ensemble, de quelque façon que le hasard eût mêlé ces jonchées. Ce n’étaient pas les bouquets montés de nos dramaturges du XVIIe siècle, de qui procèdent