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tout prendre un homme considérable et considéré, qui, n’ayant jamais visé au ministère, y pouvait très bien tenir sa place, pourvu qu’il fût soutenu par l’opinion sans être mis par elle à trop forte épreuve.

Après lui, venait en qualité de ministre des affaires étrangères M. de La Ferronays, l’un de ces cinq ou six gentilshommes attachés à la maison des princes, qui portaient à la cour et dans un poste qui ne le valait pas, un cœur civique et un esprit libéral. L’espèce en était rare, et le mérite n’en était que plus grand. M. de La Ferronays n’était point, d’ailleurs, dépourvu de toute expérience des affaires. Il avait été, pendant plusieurs années, ambassadeur à Saint-Pétersbourg, et s’y était fait honneur. Loin de donner à plein collier dans la Sainte-Alliance et de se faire, comme la plupart de ses collègues, et notamment comme M. de Caraman, le serviteur de M. de Metternich, il avait soutenu l’indépendance et les intérêts de la France avec intelligence et dignité ; il avait même plus d’une fois, au sein des derniers congrès, où la légation de Russie avait suivi l’empereur Alexandre, dépassé du bon côté ses instructions et mérité le mécontentement de sa cour. C’était une acquisition précieuse, mais qu’il ne nous a pas été réservé de garder bien longtemps. Dès le milieu de l’été qui suivit sa nomination, menacé d’apoplexie, il fut forcé de prendre un congé, et, sans quitter immédiatement le poste qu’il occupait, il fut dès lors perdu pour ses collègues et pour le pays. Je reviendrai, en temps et lieu, sur cet incident, qui n’a pas laissé d’entrer pour quelque chose dans la série des événemens précurseurs de la révolution de juillet.

Mais la perle, je me sers à dessein de ce mot, mais le joyau, le diamant du ministère, et même de la chambre élective, c’était M. de Martignac, ministre de l’intérieur. Comment un tel homme, déjà parvenu à la maturité de l’âge, connu depuis longues années comme l’un des ornemens du barreau de Bordeaux, de ce barreau qui avait donné les Girondins à la Convention, et à la Restauration M. Laine et M. Ravez ; comment, dis-je, un tel homme, membre depuis sept ou huit ans de la chambre des députés, y était-il presque ignoré? comment y avait-il vieilli dans des emplois de second ordre? Chaque fois qu’il avait eu à s’expliquer sur les attaques dirigées contre l’administration dont il était le chef, on avait pu remarquer la clarté et l’élégance de son élocution et la bonne grâce de son débit ; mais qui pouvait s’imaginer qu’en moins de deux mois il prendrait rang parmi les premiers orateurs dont la tribune française se soit honorée, qu’il enchanterait tous les partis et mériterait cet éloge, aussi singulier que juste, qui lui fut un jour adressé par M. Royer-Collard : La chambre est vaine de vous? Je n’ai pas assez connu personnellement M. de Martignac pour