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on leur savait gré de leur modération bien connue ; on leur savait gré surtout d’avoir assez publiquement résisté au grand méfait de M. de Villèle : la dissolution de la garde nationale de Paris.

Vain espoir, néanmoins; dès les premiers jours, ils virent se former un tel orage contre l’administration dont ils avaient fait partie, que le poste ne leur parut pas tenable. Ils se retirèrent volontairement. M. de Chabrol fut remplacé par M. Hyde de Neuville, l’un des chefs de file de ce que nous nommions le centre droit, et les bons royalistes la désertion. M. D’Hermopolis fut remplacé par M. Feutrier, évêque de Beauvais.

M. Hyde de Neuville était, comme M. Royer-Collard, un royaliste de cœur devenu libéral ; il était même quelque chose de plus, car il était émigré ; homme d’honneur, bon Français à l’étranger, mais cerveau mal réglé, prompt à s’échauffer et capable d’excentricités.

L’évêque de Beauvais, frère d’un de mes camarades à l’armée d’Espagne, était un prélat modeste, pieux, conciliant, d’un esprit élevé et d’une société douce. On peut dire, sans rien exagérer, qu’il a payé de sa vie ces qualités, que son appel au ministère mit aux prises avec des circonstances plus fortes que lui et des adversaires qui l’accablèrent sans l’ébranler.

Enfin, pour compléter le cadre ministériel, on appela au nouveau département, dit de l’instruction publique, M. de Vatimesnil, avocat général à la cour de cassation.

Ce choix nous inspira, au premier abord, de très vives inquiétudes. Entré très jeune encore, en 1817, au ministère public, M. de Vatimesnil s’était montré tout bouillant du royalisme de l’époque; il avait entrepris de son chef, et presque malgré ses chefs, une croisade contre les journaux et les écrivains libéraux, dont il devint bientôt la bête noire ; mais, après avoir ainsi poussé sa pointe et jeté son feu pendant trois ou quatre campagnes, il s’était calmé, son esprit avait mûri; appelé au parquet de la cour de cassation, qui s’occupe et se préoccupe moins de politique que toute autre, il n’avait pas tardé à se faire remarquer par un rare savoir, un esprit éminemment juridique, et un véritable talent de parole. Ce fut M. Portalis, témoin de ses rapides progrès et bon juge de son mérite, qui l’appela malgré nous au ministère et qui fit fort bien de ne nous point écouter. M. de Vatimesnil ne tarda point à devenir l’un des meilleurs ministres que notre université ait vu placer à sa tête. Dans le conseil (j’entends dans le conseil des ministres), il se montra, en toute occasion, le plus solide appui de la cause libérale, à ce point même que le roi le prit en aversion et que, de dépit, lorsqu’il congédia tout son ministère, il lui