Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 75.djvu/580

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

entraînés malgré eux dans la réforme. Ils s’alarmèrent tout à fait en apprenant qu’un déchaux avait été nommé visiteur, autrement dit inspecteur, d’une partie de leurs couvens. Alors s’engagea la grande lutte où l’œuvre de sainte Thérèse aurait péri dix fois sans la constance de la « pauvre petite vieille. »


VI.

Il existait dans cette œuvre une cause de faiblesse qui n’avait point échappé à sainte Thérèse et qu’elle explique très clairement : « Parmi les religieux, la réforme portait dans son sein un principe de ruine prochaine. D’abord, ils ne formaient pas de province particulière, mais restaient soumis au gouvernement des supérieurs de l’Observance mitigée. Ensuite, ils n’avaient pas encore de constitutions. Chaque monastère se conduisait comme il le jugeait à propos, et, les uns pensant d’une manière, les autres d’une autre, la réforme y courait de grands périls. » Les mitigés, au contraire, étaient parfaitement compacts. Ils avaient de grandes intelligences à Rome et se sentaient puissans. Ils résolurent d’anéantir les nouveaux couvens, qui provoquaient des comparaisons désobligeantes pour eux, et engagèrent la guerre à un chapitre général de leur ordre, tenu à Plaisance en mai 1575. L’avantage fut d’abord de leur côté. Le chapitre ordonna de chasser les déchaux de leurs maisons et de reléguer la mère Thérèse, cette « vagabonde, » comme on l’appelait chez les mitigés, au fond d’un couvent, avec défense d’en bouger. Elle para le coup et sauva les siens en écrivant au roi, qui s’intéressait à la réforme; puis elle conseilla sagement de se tenir coi; mais on ne conduisait pas ces moines-là comme on conduit de nos jours un séminaire. La plupart avaient du tempérament de ce fameux capucin duc de Joyeuse, qui se décapucina au temps de la ligue pour être général d’armée et se recapucina sur la fin, « ayant, dit Saint-Simon, en vingt ans de profession religieuse, fait une étrange parenthèse de dix ans. » Les déchaux ne craignaient pas non plus les parenthèses. Le beau père Antoine leur fit honte de leur conduite de lièvres, et, comme ils hésitaient encore, le bouillant père Mariano, de sa voix de clairon sonnant la charge, prêcha l’assemblée sur ce texte : Tempus pacis, tempus belli. Il les enleva et ils attaquèrent à leur tour.

Celui des leurs qui avait les pouvoirs de visiteur se rendit à la grande maison de mitigés de Séville, avec l’intention de la réduire. Le père Mariano, qui flairait la poudre, l’accompagnait. Il tomba dans la plus belle révolte de moines qu’on pût rêver, vit son visiteur presque mis en pièces au milieu d’un vacarme effroyable, courut