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d’une exquise douceur. Au premier plan, des rochers nus ; dans l’éloignement, la mer brillante ; à l’horizon, des montagnes tachées d’ombre; tout s’y dispose avec grandeur dans la clarté sereine et calme d’une lumière azurée. Sous cet azur un peu éteint et mélancolique apparaissent, côte à côte, naïvement superposées sur les assises des roches, comme l’étaient, sans doute les captives troyennes, au temple de Delphes, dans les peintures de Polygnote, de pâles figures, nues ou demi-drapées, que l’imagination du peintre voit sortir des ruines accumulées sur la pente pierreuse. Ruines sacrées, ruines irréparables que personne ne relèvera! Morts adorés, morts bien ensevelis, que personne ne ranimera! Comme des spectres incertains d’eux-mêmes, comme des ombres mal dégagées du néant, sur les degrés de la montée lumineuse, tous ces fantômes s’arrêtent en silence. Soit qu’ils s’allongent sur le sol, soit qu’ils s’accoudent sur un pan de mur, soit qu’ils essaient de puiser de l’eau ou de poser une flûte à leurs lèvres, leurs attitudes sont languissantes, accablées, comme désespérées. C’est que cette vision d’un monde mort est une vision douloureuse, celle que peut faire un homme du XIXe siècle. L’âme du peintre, éprise de poésie et de beauté, s’y désole et pleure avec une bonne foi profonde. La sincérité de l’artiste y justifie toutes les incertitudes de l’ouvrier, comme dans ces fresques naïves du XIVe siècle italien, plus frappantes pour l’imagination et plus émouvantes pour les cœurs que tous les tableaux corrects et savans des praticiens imperturbables de la période académique.

L’Inspiration chrétienne procède directement de ces vieux maîtres de Toscane. La scène se passe au XIVe siècle, dans un cloître roman. A travers les arcades ouvertes on aperçoit quelques pauvres assistés devant la porte d’un couvent. Au fond, une rangée de cyprès dresse, au-dessus des murs ensoleillés, ses masses droites et noires dans l’atmosphère transparente. La beauté du site, la grâce de la lumière n’y sont pas moindres que dans la Vision antique. Depuis Poussin et Lorrain, personne n’avait compris avec cette grandeur les paysages du Midi, où l’architecture, transfigurée dans la clarté, prend l’apparence d’une création aussi naturelle que les végétaux et les pierres. A droite, au pied d’un échafaudage, un peintre, au profil sec, à la barbe pointue, la tête encapuchonnée, droit et maigre dans sa longue robe sombre, s’avance, palette et pinceaux en main, les yeux dressés, comme en extase, vers sa fresque commencée. Le visage, sinon le costume, est presque celui de Cimabue, dans la fresque de la chapelle des Espagnols, à Santa-Maria-Novella. La Sainte Marie Égyptienne, peinte à l’angle du mur, rappelle une figure effacée de Giotto, dans la chapelle du Bargello.