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des accens de réalisme énergique pour donner une expression vivante à ses figures. Comment cette belle flamme s’est-elle assoupie? Il nous montre deux grands panneaux : l’un, Pro patria, en costumes antiques, pour le Panthéon; l’autre, En temps de guerre, en vêtemens et uniformes modernes, pour la mairie du XVe arrondissement. L’un représente les adieux d’un soldat gallo-romain à sa famille sur le seuil de sa maison ; l’autre des transports de blessés dans une rue de Paris pendant le siège. Dans tous les deux on trouve des figures bien campées, des groupes très expressifs, une recherche constante et souvent heureuse de la grande attitude et du geste vrai. Mais pourquoi toutes ces figures se fondent-elles dans le brouillard? M. Humbert nous dira que la première scène se passe au petit jour et la seconde en hiver, à la tombée de la nuit, par un temps de neige. C’est parfaitement vrai, mais ce goût continu pour les brumes, chez un peintre d’histoire, qui doit parler haut et clair, n’est-il pas déjà regrettable? Toutefois, je le veux bien, admettons ces deux crépuscules, celui du matin et celui du soir. Est-il vrai que le même gris y domine, à l’heure où le soleil se lève et à l’heure où il se couche, dans tous les pays et dans toutes les saisons? Est-il vrai que les contours des figures s’y perdent de la même façon? Il suffit, pour se convaincre du contraire, de regarder les excellentes études d’après nature faites de tous côtés par nos paysagistes. Non, le gris monotone qui envahit les toiles de M. Humbert, comme beaucoup d’autres, moins distinguées, c’est un gris d’importation nouvelle, le gris décoratif, qui est en train d’éteindre toutes les palettes. Si l’on n’y prend garde, le triomphe de ce gris sera la mort même de ce grand art de la peinture, l’art brillant, joyeux, ensoleillé, réchauffant par excellence, l’art auquel reviendra M. Humbert, comme on revient à ses premières amours.

Ce goût maladif pour les couleurs éteintes, que quelques-uns considèrent comme une distinction d’esprit, prend sa source dans le dilettantisme littéraire ou archéologique qui dérange aisément les cervelles lorsqu’il ne repose pas sur une science solide et lorsqu’il ne s’accompagne pas d’une grande liberté d’esprit et d’un amour sincère de la nature. Nous nous moquons volontiers des Allemands, gens d’étude, parce qu’ils ont donné longtemps et qu’ils donnent encore à presque tous leurs portraits et leurs tableaux de genre une teinte jaunâtre et malpropre, sous prétexte que les chefs-d’œuvre du XVIe et du XVIIe siècles, surchargés de vernis, sont devenus jaunes et sales. Agissons-nous beaucoup mieux à Paris en donnant pour excuse à nos décolorations des fresques qui sont usées et les tapisseries qui sont passées ? Et pourtant, s’il nous arrive de nous trouver en présence d’une pièce des Flandres