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les yeux de chercher dans une peinture la forte unité d’effet qui produit seule une impression durable. L’artiste s’habitue à mal relier ses figures, à ne plus avoir la salutaire horreur du vide, à exagérer ses effets, à délayer ses impressions, pour remplir insuffisamment tout ou partie de ces grands espaces. Un bon nombre d’études ou de tableaux, que leur grandeur creuse a dû faire reléguer justement sur les cimes, auraient été très intéressans s’ils avaient été poussés avec plus d’intensité dans un champ plus restreint.

Les maîtres expérimentés comme M. Jules Breton ne commettent pas cette faute. Une petite toile lui suffit, comme les années précédentes, pour transporter notre imagination au milieu des paysans laborieux, en plein air, en pleine lumière, devant l’immensité paisible des campagnes ouvertes. C’est à l’heure la plus chaude du jour, dans la plaine sans habitations, sans arbres, sans ondulations, au moment du Goûter. Le travail, de tous côtés, s’arrête, et trois paysannes se sont installées autour d’un maigre tas de cendres fumantes, dans lequel rime d’elles ramasse quelques pommes de terre. La seconde, assise dans les broussailles, tient une tartine en se tournant vers la plaine; la troisième, une jolie brune, étendue, sur le sol, aplat ventre, mord à belles dents dans un morceau de pain en souriant, sous sa capuche d’indienne, du sourire inconscient de la jeunesse active et bien portante. Au loin, on aperçoit la silhouette d’une femme debout et tenant une cruche penchée au-dessus des lèvres d’un petit garçon qui se dresse avidement pour mieux boire; un autre groupe de travailleurs est étendu dans l’ombre courte d’une meule basse. Toutes les attitudes, toutes les expressions, tous les détails du dessin et de la coloration, observés dans la nature, mais recueillis, simplifiés, fortifiés par l’imagination, se combinent pour nous donner l’impression que le peintre a voulu rendre, la douceur du repos après le travail dans la chaleur. M. Jules Breton ne donne à la figure humaine la grandeur naturelle que lorsqu’il la traite en vue d’une étude spéciale d’expression, comme dans son autre tableau, la Bretonne, une paysanne du Finistère, vue à mi-corps, en noir, assise, tenant une cierge allumé. Cette figure simple est d’un recueillement admirable.

M. Dagnan-Bouveret, dont les scènes, bourgeoises ou rustiques, depuis longtemps remarquées, gardaient encore en ces derniers temps, dans leur fine exactitude, quelque sécheresse et quelque mesquinerie, vient de grandir singulièrement par sa belle toile du Pain bénit. Quelques paysannes, vues à mi-corps, de profil, sont assises, sur trois rangs, dans les bancs de l’église, devant-un mur peint en jaune et taché de plaques vertes de moisissure. Presque