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d’éloge, a peut-être droit à quelques égards, et don Silvela lui-même n’en demanderait pas la suppression s’il avait à s’expliquer devant une assemblée française.

La plupart de nos publicistes ont, il est vrai, plutôt flatté que jugé le jury. Or, le jury français est un assemblage de qualités et de défauts. Cette proposition paraîtrait choquante dans les débats judiciaires, où l’on proclame un peu trop souvent que le jury sait tout, voit tout, et ne se trompe jamais. Mais, quand l’audience est levée, la vérité reprend ses droits. Il y a peut-être quelque intérêt à retracer librement ces qualités et ces défauts. Celui qui ne s’en rendrait pas un compte exact aurait quelque peine à s’expliquer les destinées de notre éloquence judiciaire.

Beaucoup de gens se figurent que le jury témoigne une indulgence systématique à tous les accusés. C’est, pour le professeur Wladimirof, un titre à l’admiration publique et, pour le plus grand nombre, un sujet de blâme, car on ne peut pas mettre, dans l’administration de la justice pénale, l’indulgence au-dessus de la justice elle-même. Mais le jury français n’est pas si miséricordieux qu’on veut bien le dire. Il y a d’abord toute une catégorie d’infractions à la loi qu’il réprime vigoureusement : je parle des attentats contre la propriété. Je reçus un jour, après une audience, les reproches officieux de plusieurs jurés parce que j’avais, dans une affaire de vol domestique, tout en soutenant l’accusation devant la cour d’assises des Bouches-du-Rhône, demandé moi-même des circonstances atténuantes pour l’accusé. Ne désertais-je pas la cause du corps social en péril, et qu’allait-on devenir si les avocats généraux se mettaient du côté des voleurs? Mais il ne s’agit pas seulement de ces crimes ordinaires que le juge, temporaire ou permanent, ne saurait laisser impunis sans s’exposer lui-même, à toute heure. Le jury défend la propriété, de quelque façon qu’on y touche : les attaques violentes issues d’une insurrection politique, les actes ou les tentatives de pillage, les excitations au pillage ou à l’incendie, même commises par la voie de la presse, ne le trouvent pas désarmé. Par le même motif, il est enclin à sévir contre les écrivains qui cherchent à détruire le principe de la propriété privée. Il a plus d’une fois, pour la défense de cet intérêt social, montré non-seulement de la fermeté, mais un certain courage.

Les jurés apprécient d’autant mieux certaines affaires, ont dit plusieurs de nos publicistes, qu’ils ne sont pas en contact perpétuel avec les malfaiteurs. C’est là ce que don Silvela appelle : « le paradoxe français. » M. Hello ayant écrit que les yeux auxquels la société n’offre que des plaies n’arrivent pas à distinguer les parties saines,