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l’un des auteurs de ce plan. Refuser de concourir à le faire prévaloir et à payer de ma personne, c’était m’exposer à des reproches fondés et donner à penser que j’étais un esprit timide et téméraire tout ensemble : mais, d’un autre côté, entier au ministère presque au lendemain du jour où j’avais quitté les rangs du parti libéral, y entrer pour tendre la main au côté droit, pour servir une cause que l’opinion publique, celle même des hommes honnêtes et éclairés, comme les ministres sortans, qualifiaient de contre-révolutionnaire, c’était justifier en apparence les accusations de trahison, de corruption, de vénalité qui fondaient sur moi de toutes parts. Je les aurais peut-être mises sous mes pieds si j’avais en plus de confiance dans mon talent de parole, alors à son début et qui n’a jamais été de premier ordre ; mais je me voyais en perspective le bouc émissaire du ministère où j’allais entrer ; en butte avant tout autre, à la tempête, selon la tactique des partis, qui saisissent merveilleusement le côté faible de leurs adversaires ; hors d’état d’y faire tête et entraînant misérablement dans la déroute mes collègues, mes amis et le grand projet au succès duquel je me serais sacrifié.

Je ne dis rien de ma santé, alors gravement compromise et qui ne me permettait guère de faire campagne à la tribune. Je ne dis rien de mon amour-propre ; je n’en ai jamais en beaucoup, mais j’en avais alors quelque peu. Je ne dis rien surtout d’un autre sujet d’inquiétude bien plus grave et qu’il m’était interdit d’exprimer. J’en savais assez et j’y voyais assez clair pour ne pas méconnaître la voie dans laquelle l’opposition libérale et, à sa tête, M. d’Argenson et M. de La Fayette, allaient s’engager. Je prévoyais ce que nous avons vu depuis, les insurrections militaires ou autres, les complots soi-disant républicains, les machinations avec des prétendans tels que le prince d’Orange ou le prince Eugène, les conspirations de toute nature, bonapartistes ou révolutionnaires. J’avais assisté, en 1817 et 1818, à des dîners hebdomadaires où, vers le dessert, entre la poire et le fromage, on parlait, et même assez haut, à cœur ouvert. C’était un des motifs qui m’avaient fait quitter le parti. Si j’entrais au ministère, que ferais-je ? supposé que l’un, de ses projets fût, à ma connaissance, mis ou remis sur le tapis ; je dis remis, car il y en avait déjà un, tout au moins, qui m’avait été confié après un mauvais succès, trahirais-je le gouvernement dont je ferais partie ? Ferais-je arrêter mon parent le plus proche et mes amis les plus chers ?

Ma perplexité était extrême. Après avoir beaucoup hésité, je m’arrêtai à un parti que je crus et que je crois encore honnête et sensé. J’adressai à M. de Serre une grande lettre dont je regrette de n’avoir pas gardé copie ; je lui exposais dans cette lettre les raisons qui me déterminaient à penser, tout intérêt personnel à part,