Kasbah, c’est-à-dire à la citadelle qui domine Tanger et d’où l’on aperçoit l’ensemble de la ville étendue sur une colline faiblement inclinée vers la mer, les nuages étant venus subitement à s’écarter pour laisser se produire une courte éclaircie, j’ai compris enfin l’admiration des voyageurs et des artistes qu’il m’avait été jusque-là si difficile de m’expliquer. Prise en détail, Tanger n’a rien de remarquable ; son architecture, à une exception près dont je parlerai plus loin, est des plus communes ; ses mosquées manquent de caractère ; ses petites rues étroites et tortueuses présentent un aspect d’une parfaite monotonie. Mais toutes ces maisons, soigneusement peintes à la chaux, sont à l’extérieur de la plus pure blancheur, et des terrasses, où se tiennent sans cesse quelques mauresques couvertes de leurs voiles ou quelques juives vêtues de costumes multicolores, les surmontent de la manière la plus heureuse. Çà et là de beaux jardins tranchent par leur verdure sur le blanc panorama. Aux alentours, la campagne est charmante, remplie de figuiers aux larges feuilles qui grimpent sur les dunes de la mer et qui se mêlent plus loin aux joncs et aux palmiers nains. Cette ville claire, ce paysage égayé, forment un spectacle d’une harmonie ravissante. Il est naturel qu’on s’y laisse séduire, surtout lorsqu’on ne connaît l’Orient que par les livres et qu’on peut se persuader en toute sécurité de conscience qu’on en a sous les yeux une image accomplie. Cette ressource me manquait ; c’est peut-être ce qui m’a, tout d’abord, rendu sévère pour Tanger.
Je m’attendais encore à voir souvent, dans la vapeur argentée du matin ou dans l’éclat rougissant du soir, la rive espagnole du détroit m’apparaître au loin telle qu’on me l’avait décrite, développant sur le ciel ses grandes lignes, élevant au-dessus de la mer ses montagnes d’un bleu doux et transparent. À force d’ouvrir les yeux, je suis arrivé à discerner une fois, durant le mois que j’ai passé à Tanger à deux reprises différentes, avant et après mon voyage à Fès, en avril et en juin, une sorte d’ombre opaque tranchant sur le gris noirâtre du brouillard. C’était la côte d’Espagne ! On m’a affirmé que je n’avais pas eu de chance et qu’il n’en est pas ainsi tous les ans. En effet, je n’ai pas eu de chance ! Le seul avantage que j’ai retiré des pluies torrentielles qui m’ont accueilli à Tanger, ç’a été de séjourner beaucoup plus longtemps dans cette ville que je n’avais eu le dessein de le faire. On ne pouvait pas songer à partir pour Fès par un temps semblable ; la caravane que le sultan envoyait pour nous chercher et pour nous escorter auprès de lui s’était d’ailleurs perdue dans la boue ; elle n’arrivait pas, et sans elle il n’y avait pas de voyage possible. Il ne me restait plus qu’à profiter de ce retard pour examiner Tanger en détail, pour en étudier les mœurs, pour en observer les habitans. Je viens de