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cette ville, s’était empressé d’exiger la délivrance. On convenait que l’Algérien n’aurait jamais dû être emprisonné, qu’il était parfaitement innocent. Mais, enfin, il n’en avait pas moins occupé un logement dans la prison : il devait en payer le loyer. M. Féraud fit proposer aux geôliers de le leur solder en coups de bâton. Mais il s’agissait d’un Algérien ! Coupables ou non-coupables, les infortunés Marocains que la plus injuste des justices entasse dans les cachots n’ont pas de ministres pour les en tirer gratuitement. Quand ils en sortent en vie, ils sont ruinés. C’est ainsi que les effets les plus odieux de la tyrannie s’étalent à quelques mètres du palais où l’on retrouve encore les débris des plus grands raffinemens de la volupté.

La Kasbah, je le répète, est seule digne à Tanger d’exciter la curiosité des voyageurs. La place du Marché, le Socco, célébrée par tant d’écrivains enthousiastes, n’a rien que de parfaitement vulgaire. Il n’existe pas de bazar proprement dit ; dans toutes les rues s’étalent les petites boutiques que l’on voit partout en pays arabe. La population qui s’y presse est très variée sans doute ; mais les types et les costumes y sont bien loin de l’inépuisable diversité de ceux du Caire ou de Constantinople. Rien ne ressemble ici au pont de la Corne-d’Or ou au pont du Nil, sur lesquels tous les êtres que Dieu a créés dans son intarissable fantaisie semblent s’être donné rendez-vous pour défiler sous ses regards. A Tanger, on ne rencontre guère que des nègres, des musulmans berbères ou arabes, et des juifs. Pour un œil exercé, la différence est grande entre l’Arabe des plaines, le montagnard du Riff, l’habitant du Sous, le Maure des villes, etc. ; mais, quand on n’y regarde pas de très près, ils se confondent les uns avec les autres sous leurs djellaba blanches ou grises. Seul, le Riffain, à la tête nue et rasée, entourée d’ordinaire d’une simple corde en poil de chameau, présente un caractère très tranché. Ce qui m’a le plus frappé, c’est de voir aux enfans berbères sur un crâne absolument dépouillé, une simple mèche tressée, placée de côté au-dessus de l’oreille droite. C’est le signe distinctif de la jeunesse. Or, la même mode existait déjà chez les anciens Égyptiens ; et l’on reconnaît les jeunes gens, dans les représentations antiques, à cette mèche tressée sur le côté qu’ils portent encore aujourd’hui parmi les Berbères. Quant aux juifs, la plupart d’entre eux portent les costumes et prennent de plus en plus le visage des Européens. Les femmes ont abandonné les toilettes nationales pour des robes de cotonnade claire, qui leur donnent l’air de méridionales endimanchées. Je n’ai pas remarqué qu’elles fussent aussi jolies qu’on le prétend ; je n’en ai même rencontré aucune qui me parût réellement belle. En se promenant à travers les rues et les places publiques, il va sans dire qu’on rencontre des charmeurs de serpent, des conteurs arabes, des diseurs de bonne