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que la porte de la kasbah. Devant cette dernière s’étend une place avec galeries latérales d’un aspect gai, simple et grand; quelques jolis minarets s’élèvent au-dessus de toutes ces constructions. Sans avoir rien de particulièrement remarquable, El-Arâïch est, en somme, une de ces villes africaines qui restent gravées dans la mémoire comme un agréable souvenir.

Ce qui m’a beaucoup plus intéressé que la ville, j’en conviens, c’est une visite que nous avons faite au pacha qui l’administre, en sortant du déjeuner de M. Delaroche. Nous n’avions pas le dessein de faire cette visite; mais après avoir longé les fortifications, nous arrivâmes, sans nous en douter, près du jardin du pacha, et comme on nous dit qu’il s’y trouvait, il nous parut poli d’aller causer un instant avec lui. Les jardins d’El-Arâïch débordent de fleurs et de fruits. Situés au penchant des collines qui descendent vers le Loukkos, on y jouit d’une vue admirable : d’un côté, la ville avec ses murs blancs, puis la mer d’un bleu clair pointillé de voiles plus blanches encore que les murs de la ville, puis le port et les premiers méandres du fleuve ; en face, sur l’autre rive également sinueuse du Loukkos, les collines verdoyantes où s’élevait autrefois Lixus ; enfin, de l’autre côté, l’immense plaine du Gharb, et des montagnes lointaines estompées dans la lumière. Le pacha jouissait de ce beau coup d’œil, accroupi, en compagnie de son secrétaire, dans un petit kiosque que soutenaient de légères colonnes de marbre avec des chapiteaux ciselés de mille arabesques. Il formait lui-même un fort joli tableau dans son vêtement d’une blancheur transparente, bien que sa figure fût assez laide et parfaitement vulgaire ; mais son secrétaire, à côté de lui, enveloppé d’un vêtement d’une égale blancheur, avait des traits nobles, de grands yeux profonds et une physionomie intelligente, avec une nuance de tristesse qui lui seyait très bien. On se disait tout de suite que, si les places étaient données au mérite dans l’empire du Maroc, les rôles seraient renversés : le secrétaire serait pacha et le pacha tout au plus secrétaire. Nous connaissions l’histoire du pacha. Il ne devait son élévation qu’à l’argent ; il avait payé fort cher le gouvernement d’El-Arâïch, qu’il exploite aujourd’hui pour se rattraper ; d’ailleurs, parfaitement nul, presque borné, sans ombre d’instruction : sa richesse lui tenait lieu de tout. Nous nous assîmes en cercle autour de ces deux personnages si différens, et M. Féraud commença à leur expliquer en arabe l’objet de sa mission. A mesure qu’il parlait, je voyais l’étonnement, puis la stupéfaction, puis l’admiration, puis l’enthousiasme même se peindre sur le visage des deux Marocains. M. Féraud s’exprime en arabe, non-seulement comme un Arabe, mais mieux que la plupart d’entre eux ; il connaît toutes les