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cette longue traversée, on a relâché sur plusieurs points où les équipages ont pu se dédommager un peu de leurs privations et prendre un repos nécessaire[1].

Cela est justement ce qui convient à ce genre de navire ; la navigation seulement sur les côtes, de fréquentes et de courtes sorties, tel est le vrai rôle à imposer aux torpilleurs autonomes; ils ne peuvent être que des gardes-côtes. Ils seront excellens pour surveiller et défendre l’accès des ports, rades, rivières, les passages et les détroits, aussi bien que pour détruire par surprise les bâtimens ennemis dans leurs rades et sur leurs côtes dans notre voisinage, en abandonnant aux torpilleurs plus petits portés sur des vaisseaux, mis à la mer au moment de l’action et repris à bord ensuite, l’attaque des navires sur les côtes lointaines. La France est merveilleusement placée au centre des puissances maritimes pour se servir contre leurs flottes des torpilleurs autonomes;

  1. La Revue maritime vient de publier le rapport du capitaine du torpilleur n° 61 sur sa traversée de Brest dans la Méditerranée, du 30 janvier au 24 février dernier. Ce rapport est particulièrement optimiste, soit que les circonstances de mer ou les qualités spéciales au bateau en aient été la cause, soit que le personnel embarqué se soit trouvé moins sensible aux incommodités de l’habitation d’un semblable bâtiment à la mer. Quoi qu’il en soit, ce rapport, émanant d’un officier très expérimenté et ayant un caractère de sincérité incontestable, devient, par cela même, un précieux argument en faveur de ma thèse, car, tout optimiste qu’il est, il en arrive aux mêmes conclusions pratiques que moi-même, à savoir que le personnel peut seulement supporter quelques jours d’une telle navigation et que ces bateaux ne sont faits que pour opérer sur les côtes à portée d’un point de ravitaillement et de repos. N’est-ce pas, en effet, la conséquence nécessaire des trois déclarations suivantes : Page 15. « On peut certainement vivre à bord du torpilleur et y supporter quelques jours de mer?» Page 18 : « Avec 9 tonnes de charbon à bord, nous pouvons marcher quarante-huit heures à 13 nœuds, si ce sont des briquettes d’Anzin ; avec le cardiff, nous brûlons beaucoup plus, la chauffe est plus pénible, les escarbilles sont plus gênantes; on pourrait donc, à quelques milles d’une côte ou d’un ravitailleur qu’on viendrait de quitter, avec tout son plein d’eau et de charbon, tenir une croisière de trois ou quatre jours, mais c’est alors que l’eau devient nécessaire si on est obligé de stopper souvent. » Page 21 : « En somme, on peut naviguer et vivre à la mer sur un torpilleur, si on n’exagère pas le nombre de jours à lui faire passer au large sans qu’il vienne se ravitailler et donner en même temps à son personnel un repos devenu nécessaire après quelques jours de croisière. » j’abuserais en multipliant les citations; cependant, à ceux qui veulent se rendre bien compte des qualités des torpilleurs autonomes, je signale à la page 9 l’observation qui concerne cette trépidation continuelle qui vous remue sans cesse; à la page 17, l’inconvénient sérieux que trouve le capitaine à ce que les torpilleurs ne puissent diminuer leur vitesse au-dessous de 8 à 9 nœuds contre le gros temps, inconvénient que l’auteur de la Réforme de la marine, qui n’est pas marin, apprécie comme un avantage (p. 884), tandis qu’au contraire il peut, à un moment donné, compromettre le salut du bateau; enfin, à la page 21, la manière dont souffrent et fatiguent personnel et matériel avec la mer de l’avant. Du reste, plus heureux que ceux dont j’ai déjà parlé, le 61 a toujours pu faire la cuisine, gouverner sur la boussole, faire des observations nautiques, mais non utiliser à bord les chronomètres (p. 20).