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politique n’avait pas d’autre principe que la force; mais la force d’une nation se compose d’élémens très divers, où l’intelligence et les mœurs ont une grande place. A l’heure qu’il est, dans la concurrence entre les peuples, chaque peuple doit avoir une vocation et la connaître. Rome s’était donné une vocation : conquérir le monde. L’Allemagne a cette vocation : revendiquer pour elle tout ce qui est germanique, exalter le germanisme, développer dans l’univers la puissance germanique. Quelle est la nôtre?

Il n’y a pas de doute que nous avons charge de représenter la cause de l’humanité.

Est-ce dire que nous devions noyer notre individualité nationale dans « l’humanitairerie? » Non, certes, mais notre individualité consiste précisément en ceci que nous sommes une nation humaine. Je suis très loin de renier notre vieille histoire, que j’aime passionnément. Je déplore que nous y soyons si indifférens et que si peu de Français se puissent vanter de connaître l’esprit de la France. Nous avons de belles études esthétiques sur notre littérature, mais non de vraies histoires du développement de notre génie à travers les âges, comme est par exemple l’histoire de la littérature anglaise de M. Taine. Nous savons mal l’histoire de l’art français, si riche en inventions éclatantes, et c’est une chose très étrange que nous ne l’enseignions nulle part dans nos écoles. Notre histoire politique même a d’énormes lacunes et les choses les mieux connues ne sont pas les plus intéressantes. Travaillons donc et reprenons possession de notre passé, car ce serait faire preuve d’une singulière étroitesse d’esprit, que d’enfermer nos écoliers dans la France révolutionnaire et de faire croire que nous célébrerons en 1889 le centième anniversaire de notre naissance. Cependant il est certain que notre patriotisme d’aujourd’hui date de la révolution française ; nous n’en pouvons avoir d’autre ! Ce sentiment, qui nous fait aimer la France pour elle-même, mais aussi parce qu’elle a reconnu les droits de l’homme et proclamé les droits des peuples, est notre vraie raison d’être.

Voilà ce qu’il faut expliquer aux générations qui auront quelque jour à défendre la France sur les champs de bataille. L’indifférent silence de l’école en matière d’éducation nationale est effrayant. Il y a une propédeutique du devoir militaire : nous la négligeons ; et pourtant il est très périlleux de percevoir l’impôt du sang en vertu de lois et de règlemens, comme l’impôt sur le tabac, l’alcool et les cartes à jouer.

Cologne, le 1er mai. — Ici encore, le progrès de la richesse et de la population est visible. Cologne possède, avec sa cathédrale, d’admirables églises romanes. Il y a quelques années, la cathédrale attendait encore ses flèches, et plusieurs églises étaient délabrées :