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Mais, dès que l’on vous vit, on me trouva charmant ;
Il semblait que chacun se fût fait une loi,
De ne pouvoir guérir ni mourir que par moi,
Si bien qu’après dix ans d’excellentes affaires,
Je revins ici pauvre… et vous millionnaires !


N’est-ce pas spirituel avec délicatesse, et touchant avec discrétion ? — Et ceci encore, extrait de la philippique du neveu contre l’oncle, qui veut faire épouser à Jeanne


Quelque petit notaire ou quelque médecin,
Pour causer avec lui de son métier malsain ;
Pour se faire amuser quand il sera maussade,
Pour se faire soigner quand il sera malade !


N’est-ce pas limpide et sapide comme du petit Regnard ? M. Doucet, décidément, est d’un terroir voisin des meilleurs ; et je reviens à lui confirmer le surnom que j’ai proposé d’abord : il est le petit Français !

Le Fruit défendu est joué, comme il convient, avec un entrain de bonne compagnie, avec gaîté, avec gentillesse : les acteurs semblent payer une dette à l’ancien directeur des théâtres, demeuré le plus gracieux et le plus utile de leurs amis. C’est la jeune troupe qui donne dans cette escarmouche, — Mlle Reichenberg en tête, n’en déplaise à M. Paul Lindau[1] : Mme Marsy et Durand, ses sœurs cadettes par le talent, représentent ses sœurs aînées. — M. Le Bargy, qu’on aurait tort de borner aux amoureux transis parce qu’il a soupiré naguère le rôle d’Octave dans les Caprices de Marianne, mène brillamment le personnage de Léon, ce demi-Cœlio bourgeois ; MM.de Féraudy et Baillet font le campagnard et le Parisien. Le plus vieux, dans cette affaire, est M. Coquelin cadet, fort plaisant sous la perruque blanche du docteur Desrosiers. Bref, c’est les premiers de la petite classe qui tiennent à honneur et se font une joie, évidemment, de jouer cette comédie, comme pour la fête de l’auteur, leur vieux principal. Y a-t-il des amendes, à l’heure qu’il est, dans les théâtres ? Il faut que M. Doucet proclame l’amnistie.

Aussi bien, s’il y a plusieurs maisons dans la maison du Seigneur, le Seigneur lui-même n’habite pas toujours la plus grande ; et, même dans une des petites, il n’est pas toujours seul. On nous l’a rappelé, chez Molière, l’autre semaine, en jouant le troisième acte de Psyché pour l’anniversaire de la naissance de Corneille. À l’Odéon, le même soir, on donnait les trois premiers actes de l’Illusion comique. Nous ne sommes pas de loisir, aujourd’hui, pour dire notre sentiment sur ces

  1. Voir, dans la Revue d’art dramatique du 1er juin, un curieux article sur les impressions que M. Lindau a rapportées d’un récent voyage : un Critique allemand à Paris.