fois ce mouvement, involontaire sans doute dans une certaine mesure, est quelque peu volontaire, puisque avec une volonté forte on peut l’arrêter et l’empêcher de se produire. De même que la volonté peut empêcher la toux, le clignement, de même elle peut arrêter les actes réflexes psychiques. La volonté est donc en quelque sorte l’équivalent du pouvoir d’inhibition. Ce pouvoir est variable chez les divers individus, et c’est en cette variabilité que consiste le plus ou moins de bravoure des individus.
Sur dix soldats, dix soldats auront, par l’effet de la peur, une impulsion presque réflexe à la fuite. Or, chez ces dix soldats, la peur sera, je suppose, tout à fait égale, en tant qu’émotion intérieure. Cependant il n’y en aura que cinq qui vont s’enfuir. Les cinq autres, plus courageux, resteront exposés au feu, continueront à se battre et essaieront de marcher en avant. C’est que, chez ces cinq braves, le pouvoir d’inhibition a été plus fort que l’émotion frayeur, et par conséquent, la frayeur étant domptée, ils ne se sont pas enfuis.
Il semble donc qu’il y ait lutte, antagonisme entre deux forces contraires : d’une part, l’émotion, qui incite à certains actes ; d’autre part, la volonté, ou puissance d’inhibition, qui empêche ces actes.
Ce serait entrer dans une digression trop longue que d’analyser dans tous ses détails ce phénomène de volonté. Il semble que, lorsque nous sommes ébranlés par une émotion, cette émotion ne puisse être combattue avec succès que par une émotion inverse : par exemple, dans le cas qui nous occupe, pour le soldat sur le champ de bataille, l’honneur du drapeau, le sentiment de la dignité personnelle, la présence des chefs et des camarades, l’idée du devoir et de la discipline, la crainte d’un châtiment, l’amour de la patrie, l’espoir d’une récompense, que sais-je encore ? il faut des images ou des émotions pour contredire l’émotion frayeur. Opposées à celle-ci, elles triomphent d’elle, chez les cinq soldats, je suppose, qui restent fermement au feu, alors qu’elles sont, chez les cinq soldats qui s’enfuient, inférieures en intensité à la frayeur qui les fait courir et s’enfuir.
Il y a donc chez tous les hommes un pouvoir d’arrêt qui empêche les émotions d’exercer leur influence. Mais ce pouvoir d’arrêt est extrêmement variable. Les gens dont on dit que la volonté est forte la possèdent à un haut degré, tandis que d’autres sont tout à fait incapables de réagir. Je connais telle personne qui ne peut résister à l’impression du moment, comme on dit. Nulle force de réaction ou de résistance aux émotions diverses qui viennent l’atteindre. Comme la girouette balancée par les vents, qui suit docilement leur impulsion, de même il se laisse mener en tous sens par les sentimens, bons ou mauvais, qui l’animent. Les images antérieures n’ont aucun