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mour-Chleuh’. Plus je m’initiais aux mœurs du Maroc, plus j’étais frappé de la ressemblance parfaite qui existe entre ce pays et nos sociétés européennes du moyen âge. Il est dominé par une sorte de féodalité parfaitement indépendante, qui est bien loin de reconnaître le sultan pour chef. L’autorité de celui-ci est purement nominale sur les deux tiers de ce qu’on appelle son empire. La plupart des tribus, — je parle du moins de celles du nord, car il n’en est plus de même de l’autre côté de l’Atlas, — s’inclinent devant son prestige religieux ; elles voient en lui le descendant du Prophète et consentent à faire figurer son nom dans la prière du vendredi. Mais, politiquement, beaucoup d’entre elles, et ce sont bien entendu les plus guerrières, ne veulent avoir aucun rapport avec le sultan ; elles n’acceptent pas de fonctionnaires nommés par lui, ou, si elles les acceptent, c’est comme fonctionnaires fainéans, tout à fait dépourvus d’autorité ; elles ne lui paient pas d’impôt ; tout au plus lui envoient-elles parfois, non comme une redevance, mais comme un don pieux fait au successeur de Mahomet, comme une sorte de denier de Saint-Pierre musulman, une somme dont elles fixent à leur gré le montant. Quant aux tribus soumises, elles ne le sont bien souvent qu’à la manière des vassaux du moyen âge. Elles doivent au suzerain des secours pécuniaires et militaires qu’elles lui fournissent à l’occasion ; mais, d’ailleurs, elles s’administrent elles-mêmes à leur gré, sous la direction de leurs caïds, qui ne reçoivent du sultan qu’une investiture honorifique. Ce dernier n’est maître absolu que dans son domaine propre, c’est-à-dire dans les grandes villes et autour d’elles, comme le roi de France au moyen âge, qui n’était, en somme, que le premier et le plus fort des seigneurs de la contrée.

Ce qui me charme le plus dans les voyages, c’est de retrouver ainsi, vers cette fin du XIXe siècle, presque à la porte de l’Europe, les mœurs, les institutions, l’organisation sociale et politique des siècles passés. À cet égard, je n’avais encore rien rencontré qui me satisfît autant que le Maroc. À part quelques détails tout extérieurs, détails de costume ou d’armement, on y vit en plein moyen âge. C’est une résurrection de ces époques lointaines qui excitaient si vivement la curiosité publique, il y a peu de temps encore, avant l’invasion du naturalisme et de la « modernité, » aux beaux jours où cet admirable Walter Scott, hélas ! aujourd’hui si méconnu, charmait toutes les imaginations par ses romans d’un merveilleux et inépuisable intérêt. Quant à moi, dont ils ont nourri la jeunesse et qui me propose bien de les relire encore, avec la même passion, en cheveux blancs, j’ai cru assister à l’un d’entre eux le lendemain de mon séjour chez les Beni-Ah’sen. Nous avions eu une nuit agitée ; dans la crainte que quelques-uns de ces célèbres vo-