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physionomie de ce singulier enfant : était-elle dédaigneuse, ironique, barbare, farouche, ou simplement inintelligente ? Elle était peut-être tout cela à la fois, mais elle avait une sauvagerie un peu bestiale, dont le mystère ne manquait point de séduction. Tout le goum suivait les ordres de ce petit être fantasque, qui commandait d’une voix grêle, courte et acerbe. Il marchait, toujours accompagné d’un gros nègre, superbe cavalier, qui lui tenait son fusil, le lui passait au moment des fantasias, lui donnant la poudre pour le charger, et semblait veiller à tous ses mouvemens avec la vigilance d’un serviteur de confiance. C’était évidemment un esclave attaché au fils préféré du vieux cheik, répondant de sa vie sur la sienne, lui consacrant des soins que rien ne pouvait distraire. L’enfant lui faisait faire de terribles chevauchées ; car, bien qu’il jetât sur nous des regards fort méprisans, voyant que nous le considérions avec intérêt, il tenait évidemment à nous éblouir par sa hardiesse. Aussi, quoique la route fût détestable, il commandait sans cesse de nouvelles fantasias, auxquelles il prenait toujours la première part. On le voyait gravir au galop les collines, puis les redescendre à une allure encore plus vive, avec sa ligne de cavaliers, poussant son cri de guerre et tirant son coup de feu, tandis que les chevaux, se cabrant sur la pente, paraissaient prêts sans cesse à se dérober. Mais je dois dire que le fusil du jeune chef devait être des plus médiocres, car il lui arrivait souvent de rater. Alors, il fallait voir de quel air de fureur mal contenue l’enfant se tournait vers le pauvre nègre, qui ne pouvait répondre que par une mine piteuse à ces marques trop évidentes de colère et d’indignation.

Vers dix heures du matin, nous arrivâmes chez le cheik Embarek, et nous campâmes en face de sa maison, sur une colline toute couverte de petits soucis frémissans sous la brise du matin. En face de nous s’élevaient les premières montagnes du Djebel-Zerhoun, où le fondateur de l’empire du Maroc, le fameux Moula-Edriss, trouva son premier refuge, et, tout autour de nous, d’autres montagnes s’étendaient aussi loin que la vue pouvait porter. Comme elles étaient absolument nues, sans forêts, sans villages, du moins apparens, sans rien qui cachât leurs croupes tourmentées, on eût dit une mer de vagues énormes subitement figée sous la main d’Allah. Ce qui complétait la ressemblance, c’est le ton bleuâtre que la couleur réfléchie du ciel répandait sur elles, et qui n’était interrompu que par ces grandes déchirures blanches où apparaissaient, sous la terre végétale éboulée, les fonds crayeux, qu’on eût pris pour l’écume de ce gigantesque et sublime océan. La maison du cheik Embarek était dans la vallée, au pied de la colline où nous cam-