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souple, est travaillé, dans le marbre, avec cette précision consciencieuse qui plaisait aux maîtres de l’Académie royale. Il y a dans l’ordonnance générale, dans les attitudes et dans les gestes, une dignité émue, qui donne à l’action une gravité profonde. Cette parenté avec les artistes du XVIIe siècle semble, chez M. Longepied, affaire de tempérament autant que d’étude ; on l’avait déjà signalée, à propos de son Pêcheur ramenant la tête d’Orphée, qui lui valut son prix du Salon. Son séjour en Italie n’a pas modifié ses tendances. Ce n’est que par occasion, au contraire, qu’un maître comme M. Chapu, dont la Grèce est la vraie patrie, s’inspire, avec une sorte d’abnégation, de l’esprit des Girardon et des Coysevox. Sa Proserpine, en marbre, est destinée au parc de Chantilly, comme le Pluton, exposé en 1884, qui doit lui faire face. M. Chapu avait déjà fait du dieu infernal, guettant dans le gazon son innocente victime, un roi robuste et bien drapé qu’on eût rencontré, sans surprise, au détour d’une allée de Versailles. La Proserpine, cueillant ses fleurs, est du même style, forte et saine dans sa chasteté gracieuse. C’est la même intelligence dans l’imitation et la même ampleur dans l’exécution.

A la même tradition française se rattachent assez nettement MM. Hector Lemaire, Vital Cornu, J. Dubois, de Gravillon, Coulon, Enderlin, presque tous ceux qui composent des groupes en vue de l’ornementation des jardins ou galeries. Ce genre de travail exige une grande habileté de composition, de la souplesse et de la vigueur dans l’exécution ; il n’en est aucun qui présente plus de difficultés ni qui puisse mieux faire valoir le talent d’un vrai sculpteur. Ceux qui s’y exercent méritent toute estime, même lorsqu’ils n’y réussissent qu’à moitié. Tous les sculpteurs dont nous venons de parler, sans obtenir toujours un enchaînement parfait des formes, y ont déployé de la force et du talent. M. Franceschi, dans une figure importante de la Fortune assise sur sa roue, a cherché aussi le grand aspect décoratif. Son ciseau est, depuis longtemps, exercé à assouplir les beautés féminines ; on retrouve, dans cette œuvre, toutes ses habiletés. Les deux statues de MM. Delaplanche et Tony Noël, la Danse et Orphée, sont bien faites pour orner un milieu élégant ou somptueux. On se souvient de l’aimable statue de la Musique, qui eut tant de succès ; M. Delaplanche, en représentant la Danse, en costume antique, sous les traits parisiens d’une belle fille un peu sèche et nerveuse, le pied tendu en avant à la façon d’une choriste d’opéra, lui a donné une sœur digne d’elle. D’heureuses réminiscences de Pompéi et de Prudhon y poétisent l’observation moderne. C’est une des qualités de M. Delaplanche de rajeunir, sans effort, par l’infusion naturelle d’un sentiment actuel, des