Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 76.djvu/317

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dépouiller de ses pierres sacrées ? On citait de vieilles prophéties qui s’accordaient avec ces présages et en fixaient le sens. Les yeux attachés au firmament, on s’échauffait en commentant tous ces signes de la volonté d’en haut ; on invoquait, à grands cris, les noms de Mahomet et d’Allah. Le matin, une députation de personnages influens, de prétendus descendans du prophète et de hadjis coiffés de turbans verts et blancs, vint trouver le pacha pour lui signaler ces présages menaçans et pour réclamer la restitution des pierres.

« Le gouverneur fit asseoir sur les divans toute l’ambassade ; il commanda le café et les pipes ; puis, avec une patience que nous admirions, il écouta tous les orateurs, dont plusieurs parlèrent très longuement et très vivement. Quand le dernier des députés eut terminé, le vali, au milieu du silence général, continua pendant quelque temps à caresser sa barbe. Puis, du ton le plus sérieux, il demanda s’il y avait eu quelqu’un de blessé par cette chute d’étoiles. On répondit que non. « Ah ! s’écria Subi d’un air radieux, d’une voix joyeuse et si sonore qu’elle alla jusqu’aux oreilles des gardes placés derrière la porte, s’il en est ainsi, les présages étaient bons ! Ce qu’ils indiquaient, c’est qu’Allah approuve hautement ce qui s’est passé, qu’il vous sait gré de la preuve d’attachement que vous avez donnée à votre calife bien-aimé, le père des fidèles, en lui faisant cadeau de ces pierres si précieuses ! » Les graves personnages se levèrent, rassurés ou paraissant l’être. L’un après l’autre, les députés baisèrent la main du vali et se retirèrent.

« Nous avions notre lièvre ; il s’agissait de le cuire. Nous ne savions pas ce qu’il adviendrait des pierres. Plus d’un monument, qui, de Cypre ou d’ailleurs, est parti pour le musée de Constantinople, n’est jamais arrivé à destination ; il s’est égaré en chemin. De simples copies ne suffisaient pas ; on aurait toujours pu nous accuser d’avoir cru voir sur la pierre ce qui n’y était pas. Il n’y avait pas de photographe à Hamath et nous n’avions pas apporté d’appareil ; d’ailleurs, de toute manière, un moulage vaudrait encore mieux qu’un cliché. Je demandai du plâtre de Paris ; on n’en put trouver dans la ville, mais on finit par me parler de carrières de gypse, qui n’étaient pas très éloignées. Je fis partir pour l’endroit indiqué deux hommes de confiance.

« En attendant leur retour, je m’occupai à nettoyer les inscriptions. La mousse et la poussière des siècles avaient, par endroits, bouché les creux qui séparent les caractères en relief. Ailleurs, ces pierres ayant été remployées dans des constructions, du mortier avait été appliqué sur une partie de leur surface, et, avec le temps, il était devenu presque aussi dur que le basalte même. Il fallait tenir le champ toujours mouillé, puis tantôt gratter avec de petits