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il appuie son pavillon d’un coup de canon à poudre pour montrer qu’il lui appartient réellement ; s’il est ennemi, il ne pourra répondre à vos signaux, il arborera son vrai pavillon, et la lutte s’engagera. Si le bâtiment en vue est un navire de commerce, il faut courir sur lui et le faire raisonner, c’est-à-dire s’assurer, par ses réponses ou ses papiers de bord, qu’il a bien le droit de se couvrir du pavillon qu’il porte.

Le torpilleur devra se soumettre à ces formalités indispensables, car il serait également absurde de couler des bâtimens qu’on n’a vus que de loin et qu’on a suivis jusqu’à la nuit, sans se montrer et sans avoir un indice raisonnable de leur nationalité, ou de laisser passer comme neutres tous ceux qui seront couverts d’un pavillon neutre ; car dans ce cas on pourrait laisser passer des ennemis, et dans le premier on ferait pis encore, on s’exposerait à faire périr des bâtimens neutres, amis, ou même de sa propre nation. Ces attaques de nuit ne seront donc possibles que contre les bâtimens au mouillage, dont la nationalité sera connue d’avance, soit par des renseignemens certains, soit par le mouillage même occupé par ces navires. A la mer, pour les navires rencontrés, la nationalité sera toujours douteuse jusqu’à ce que l’on se soit assez rapproché pour échanger les signaux de reconnaissance si l’on a affaire à un bâtiment de guerre, ou faire raisonner le navire s’il appartient au commerce.

Si donc le torpilleur ne veut pas s’astreindre à l’obligation de reconnaître, dans le sens maritime du mot, les navires en vue, il devra s’abstenir de toute attaque, et il ferait aussi bien, dans ce cas, de rester tranquillement au port, car sa croisière se réduirait à une vaine démonstration sans résultat ; mais si vous persistez à lui donner cette mission, qui ne doit pas être la sienne, et si vous lui imposez le devoir de la rendre effective, il devra s’astreindre à s’assurer de la nationalité des navires du commerce rencontrés, et cette opération, sans danger pour un croiseur ordinaire, sera pour lui pleine de périls ; voici pourquoi.

Qu’un croiseur se porte, pour le reconnaître, sur un navire de commerce ennemi couvert d’un pavillon neutre, celui-ci cherchera à lui échapper par la supériorité de sa vitesse ; mais si cette vitesse est inférieure, il se rendra sans résistance, car la partie serait trop inégale. Le paquebot ne peut pas espérer que quelques obus suffiront pour arrêter le bâtiment de guerre, lequel, par son artillerie, l’aurait bientôt coulé ou réduit à se rendre ; il sait, d’ailleurs, que chacun à bord conservera la vie sauve et la propriété de ses effets particuliers ; le bâtiment et la cargaison seront seuls perdus ; le croiseur l’amarine, lui met un équipage et l’envoie dans un port national ou ami.