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là qu’il a devant lui un ennemi, il se dira que sa supériorité de vitesse lui permet à son gré d’accepter ou de refuser le combat. Se retirera-t-il en arrière, et, après s’être mis hors de vue, croira-t-il pouvoir suivre de loin le vaisseau pour le rejoindre à toute vapeur dans la nuit et le torpiller sûrement à la faveur de l’obscurité ? Mais le vaisseau pénétrerait probablement ses intentions, il se tiendrait sur ses gardes, et, la nuit venue, il pourrait brusquement changer de route et s’éloigner sans que, peut-être, le torpilleur pût le retrouver. D’ailleurs, on est au début de la guerre, et le torpilleur a tellement entendu vanter, de confiance, son excessive supériorité sur les grands bâtimens de combat, qu’il n’hésite pas à affronter la lutte : le sort en est jeté, il court sur le vaisseau, et les deux adversaires arborent fièrement leurs couleurs nationales.

Le vaisseau, qui veut se donner toutes les chances possibles, se placera dans la situation la plus avantageuse pour lui-même et la plus défavorable pour son rival ; il prendra chasse de manière que le torpilleur, qui se lance à sa poursuite, ait le vent et la mer à deux ou trois quarts de l’avant ; des rapports de mer constatent que cette allure est la plus gênante pour les torpilleurs et celle où ils fatiguent le plus[1].

Nous ne supposerons pas qu’il fasse calme ni mauvais temps, mais le temps ordinaire du large, ce que les marins appellent jolie brise, soulevant une mer blanchissante. Jusqu’à quelle distance le torpilleur devra-t-il s’approcher pour lancer sa torpille ? Nous voulons, pour éviter tome objection, la déduire de données prises dans la Réforme de la marine[2]. Je m’en rapporterai donc aux indications que renferment à ce sujet les pages 878, 882 et 894, lesquelles fixent la distance entre 250 et 400 mètres. En considérant que ces données proviennent d’un auteur éminemment favorable aux torpilles et qu’elles sont déduites d’exercices de rade accomplis dans des circonstances généralement favorables, on peut conclure qu’à la mer le torpilleur fera bien de se rapprocher au moins jusqu’à 300 mètres pour lancer son engin.

Le vaisseau aura de bons pointeurs aux pièces de retraite et à celles des tourelles qui peuvent tirer dans le plan longitudinal ; il pourra utiliser de trois à cinq pièces de fort calibre, ou de là à 16 centimètres, selon qu’il sera plus ou moins grand, cuirassé ou croiseur. Ces canons se manœuvrent avec une précision et une facilité merveilleuses ; on peut imprimer à l’affût (j’entendrai par

  1. « C’est en prenant la mer et le vent de l’avant, ou même de l’avant du travers, qu’on souffre de l’eau qui balaie le torpilleur de bout en bout, du vent qui vous coupe le visage, des escarbilles qui vous empoisonnent partout ; et puis, à cette allure, le torpilleur fatigue très fort. » (Torpilleur 61.)
  2. Voyez la Revue du 15 décembre 1884.