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rade de Toulon ; faites se ruer contre elle une nuée de torpilleurs sortant à la fois de partout : de Toulon, des îles d’Hyères, de la rade du Brusc ; sans doute cette escadre courra grand péril : la moitié des torpilleurs pourra périr, mais les survivans pourront chanter victoire, l’escadre sera repoussée ou en partie détruite. Seulement autre chose est de se jeter sur elle quand elle vient s’offrir à vos coups, ou de faire courir à sa recherche une semblable flottille de torpilleurs.

Il ne peut exister de réunion nombreuse de bâtimens à la mer qu’à la condition qu’ils possèdent les moyens de se concerter, de s’entendre, de se communiquer des avis, de se prévenir de leurs intentions mutuelles, de se voir facilement la nuit comme le jour : les torpilleurs en sont totalement dépourvus. Ils pourront former des agglomérations, ils ne formeront jamais de flotte ; ils resteront unis aux abords de vos côtes et à petite distance, mais ils ne pourront sans accidens et sans séparations se livrer à une navigation d’escadre de jour et de nuit.

Une escadre de quinze à vingt bâtimens doit s’astreindre à une minutieuse surveillance, pour éviter les séparations et les abordages dans les nuits obscures, dans les brumes, dans les mauvais temps, dans ces grains longs et violons durant lesquels, même en plein jour, pendant une demi-heure, une heure, on voit à peine de l’arrière l’avant du bâtiment, et cependant, dans ces escadres, tout est organisé pour que la surveillance soit facile : un grand corps de bâtiment, une haute mâture, des hommes en vigie partout, des feux étincelans de tête et de côté ; une passerelle élevée, d’où le capitaine domine sur un horizon étendu, des boussoles dociles, bien comparées, au moyen desquelles tous les bâtimens, attentifs à gouverner, seront assurés de ne pas s’aborder pendant qu’ils ne se verront pas, en faisant des routes parallèles.

Pour la flottille des torpilleurs, rien de tout cela ; des bateaux à peine visibles de très près, ras sur l’eau, sans mâture, sans horizon pour la vue, sans boussole capable d’assurer le parallélisme des routes, car par suite de l’excessive trépidation que cause la machine et des grands mouvemens du bateau, s’offrant au choc de la lame avec une vitesse de 20 nœuds, les boussoles donnent toutes des indications différentes de plusieurs degrés et varient constamment, alors que par suite de cette même vitesse un coup de barre, un écart du parallélisme des routes suffit pour occasionner un abordage. Il faut donc mettre un intervalle assez grand d’un torpilleur à l’autre, et plus encore entre ceux qui sont en avant et ceux qui sont en arrière, si on les range sur plusieurs lignes : autrement, au moindre inconvénient subit qui forcerait le torpilleur de la première ligne à stopper, son matelot de la deuxième ligne viendrait