Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 76.djvu/385

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Nacelles, dont nous aurons souvent à citer ici les Mémoires inédits ; catholique avec les catholiques et protestant avec les protestans ; ce que confirme le dire d’un des témoins qui comparut dans le procès du chevalier de Rohan, le sieur Bourguignet, ancien élu des états de Bourgogne. Celui-ci rapporte, en effet, dans sa déposition, que Latréaumont avait voulu le faire disputer sur la religion aveu Van den Enden, et qu’il lui avait été affirmé que ce médecin enseignait la religion catholique à ceux qui y appartenaient, le calvinisme aux prétendus réformés et le luthéranisme aux luthériens, qu’on lui avait même dit qu’il n’avait en fait aucune religion.

Van den Enden habita vingt-neuf ans Amsterdam, où il tint école de philosophie, D’une robuste, constitution, il ne cessa de mener une vie active. Lorsque Du Cause le connut, il avait plus de soixante-dix ans, et il était aussi frais et aussi vigoureux qu’on peut l’être à trente ans. Mais l’esprit de conduite et l’intelligence des affaires- domestiques restaient, chez ce médecin, fort au-dessous du savoir et de la vigueur corporelle. S’il gagnait beaucoup d’argent, il en dépensait parfois beaucoup. Sa prodigalité fit que, lorsqu’il eut atteint la vieillesse, il se trouva dénué de ressources ; il dut chercher de nouveaux moyens qui lui permissent de continuer ses dépenses inconsidérées. Les opinions politiques de Yan den Enden étaient aussi hardies, aussi avancées, comme on dirait aujourd’hui, que ses opinions religieuses ; il les communiquait volontiers à ceux qui suivaient ses leçons, et de ce nombre fut un jeune officier français nommé Gilles Duhamel de Latréaumont. C’était un gentilhomme normand qui s’était attiré de méchantes affaires à l’armée, mais qui, tout dépourvu de moralité qu’il fût, ne manquait ni d’intelligence ni d’instruction. Du Cause s’exprime sur son compte dans les termes les plus défavorables. Il nous dit que Latréaumont, dont la mauvaise réputation n’avait fait que s’accroître, depuis la dernière campagne de Flandre, était perdu d’honneur parmi les troupes et connu pour un esprit très dangereux et capable des plus grands forfaits ; il aurait été, suivant lui accusé du crime de fausse monnaie et condamné comme faux-monnayeur en Hongrie. Latréaumont dut s’expatrier, pendant un temps, après cette campagne de Flandre, et il se rendit à Amsterdam, où il fit la connaissance du médecin flamand, qui devint son maître de politique et de philosophie. Dans les entretiens qu’ils avaient ensemble, il était souvent question du meilleur gouvernement à donner aux peuples et de la possibilité d’établir en France une république. Mécontent, déclassé, Latréaumont appelait dans son pays une révolution qui pût lui ouvrir le chemin de la fortune et l’accès de quelque haute position. Les principes de Van den