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Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 76.djvu/387

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gens au projet dont il vient d’être question. Il importait au plus haut degré que rien ne transpirât des intentions de l’émissaire. Aussi, afin de ne point éveiller les soupçons de la police de Louis XIV, Van den Enden évita-t-il de se rendre directement de Hollande à Paris. Il traversa les contrées limitrophes de la France, et pénétra dans ce dernier pays par Toulon et Marseille. Se donnant comme étant simplement un professeur et un savant, ce qu’il était en réalité, il put ainsi détourner la défiance que suscitaient alors chez nous les étrangers. De Provence il passa en Languedoc, puis en Guyenne et en d’autres provinces, étudiant l’état des esprits et observant tout ce qui se faisait, ce qui, ainsi que le remarque Du Cause dans ses Mémoires, n’était pas difficile, « la France étant un pays où, en peu de jours, on se communique, sans peine et sans mystère, indifféremment avec toutes sortes de personnes. » Van den Enden se rendit finalement à Paris dans le dessein de nouer des relations avec les hommes que la distinction de leur esprit mettrait à même d’apprécier son propre mérite. La grande instruction que possédait le médecin flamand et la profession qu’il avait naguère exercée, lui suggérèrent tout naturellement l’idée de chercher dans l’enseignement le supplément de ressources qui lui étaient indispensables pour vivre dans la capitale, et que nécessitait d’ailleurs sa prodigalité. Quoique très sobre et très réglé dans sa vie, et ne déployant en réalité aucun faste, il dépensait inconsidérément, comme il a été dit plus haut, l’argent qu’il gagnait. C’est vers 1670 que Van den Enden arriva à Paris. Il y vécut d’abord seul ; au bout de dix-huit mois, il fit venir de Belgique une femme, nommée Catherine Médaëns, avec laquelle il vivait maritalement. Elle avait quitté un premier époux, que l’on disait mort depuis. Van den Enden voulut donner à cette union un caractère légitime ; mais, comme la veuve supposée ne put prouver le décès de son premier époux, il n’obtint pas de l’église la permission de faire consacrer son mariage, qui demeura en conséquence interlope. Catherine Médaëns était native de Louvain et catholique ; c’était une femme spirituelle et d’une agréable figure, âgée alors d’environ cinquante-trois ans. Son esprit d’économie arrêta fort à propos les tendances dépensières de son nouveau mari, et celui-ci put de la sorte s’assurer les moyens de monter, dans le quartier de Picpus, une pension de jeunes garçons, pour l’ouverture de laquelle il avait obtenu de l’Université, grâce aux protections qu’il s’était ménagées, des lettres d’autorisation. Il se fit donc, suivant l’expression du temps, maître d’école. Afin d’achalander sa pension et de s’introduire près des hommes dont il avait pour mission d’espionner les actes et de découvrir les visées, il se mit en relation avec des savans et des