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complot aurait éclaté. Nous retrouvons leur projet dans ce que rapporte Du Cause et dans les pièces du procès. La part principale y revenait à Latréaumont, qui n’avait cessé d’insister pour qu’on livrât aux ennemis le port de Quillebeuf. Cette trahison, sur laquelle les conspirateurs étaient d’accord, devait fournir le point de départ de la révolte. Van den Enden se décida à faine des ouvertures à ce sujet au gouverneur espagnol des Pays-Bas, une fois qu’il eut acquis la conviction que le chevalier de Rohan n’avait aucune chance de faire agréer aux Provinces-Unies ses services comme officier général. Il mit en relations de lettres le comte de Monterey et Latréaumont, plus en état que lui, médecin, de discuter la question militaire.

Un marchand portugais d’Anvers, nommé Siméon Homoidiez, se chargea de porter de Paris à Bruxelles une lettre de Latréaumont non signée et destinée au gouverneur espagnol. Le conspirateur y mandait au lieutenant du roi d’Espagne, comme il en informa Van den Enden, que si l’on voulait faire embarquer 6,000 Espagnols sur la flotte hollandaise, avec des armes pour 20,000 hommes, des outils pour élever une fortification, 2 millions en numéraire, lorsque cette flotte paraîtrait sur la côte de Normandie, six gentilshommes iraient trouver en mer le commandant de la flotte, que quatre d’entre eux demeureraient en otage à bord, et les deux autres reviendraient mettre les Espagnols en possession de Quillebeuf. Il assurait qu’à ce moment la population de la Normandie se soulèverait et établirait une république libre. Latréaumont ajoutait que, si les Espagnols adhéraient à ce projet, ils ne pourraient rien prétendre sur la province hors l’occupation de Quillebeuf, mais qu’ils devraient rendre cette place une fois que Le Havre ou Abbeville leur auraient été livrés.

La lettre ne portant pas, comme il vient d’être dit, de signature, et Latréaumont ne voulant pas s’exposer à être découvert, en se faisant envoyer la réponse par quelque émissaire, voici le moyen qu’il imagina pour savoir si le comte de Monterey agréait ses propositions. Dans le cas de l’affirmative, celui-ci devait, dès la lettre reçue, faire insérer dans la Gazette de Bruxelles, à l’article de Paris, la prétendue nouvelle que le roi allait faire deux maréchaux de France et, à l’article de Bruxelles, que l’on y attendait un courrier d’Espagne.

Les mots en question parurent, quelque temps après, dans la Gazette, et Latréaumont ne douta plus que le comte de Monterey n’acceptât ses ouvertures. Tout joyeux, il courut chez Van den Enden lui montrer le numéro de la Gazette, et, à dater de ce moment, ils ne songèrent plus qu’à presser la préparation du complot.