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entre elles les hostilités, si fréquentes parmi les araignées ; des individus en viennent à se jeter l’un sur l’autre et à se tuer.

Viennent les jours où les argyronètes doivent contracter mariage ; les momens sont graves. Un mâle s’aviserait-il de se présenter en étourdi devant la cloche d’une femelle, il aurait toutes les chances de recevoir mauvais accueil ; ce serait s’exposer au sort le plus funeste. Ce mâle en a bien l’instinct ; aussi usera-t-il de diplomatie, de ruse et d’adresse. Il édifie une cloche près de celle d’une femelle et ajoute entre les deux une large galerie. Au bout de ses opérations préliminaires, il effondre la paroi du logis de la femelle et soudain celle-ci est prise dans une étreinte qui ne lui est pas toujours désagréable. Elle fera bientôt sa ponte ; après l’éclosion, les jeunes sujets habiteront quelque temps avec la mère, dont la sollicitude pour sa petite famille est inaltérable. Puis, tout à coup, les enfans, assez forts, acceptent la lutte pour l’existence et s’éparpillent. Chacun va, comme l’avaient fait ses parens, construire sa petite cellule et vivre solitaire.

Après avoir, à travers les champs et les bois, considéré les saltiques et les lycoses ; après avoir barboté dans la rivière ou dans l’étang en admiration devant l’industrie des argyronètes, il est naturel de prendre un peu de repos dans une maisonnette à l’entrée du village. Un autre cadre est offert pour continuer les observations sur le même monde. Dans une encoignure de la chambre, sous le plafond, s’étend une grande toile et sur la toile, aux aguets, se dresse une araignée pourvue de longues pattes. C’est l’araignée de toutes les habitations où sa présence est tolérée : la tégénaire domestique. Elle a un goût si prononcé pour nos demeures qu’elle en profite comme si les maisons des hommes étaient édifiées pour son propre usage. Habile dans l’art du tissage, la tégénaire dispose d’une masse de soie assez abondante ; sa toile consiste en une étoffe unie, cardée par des griffes pectinées, outils d’une exquise finesse, qui assurent la perfection du travail. Neuve, la toile est d’un beau blanc ; mais bientôt, salie par la poussière, elle offre un aspect répugnant sans que la propriétaire en paraisse incommodée. L’araignée domestique est craintive et elle ne se sentirait point en pleine sécurité si elle n’avait le moyen de fuir. Dans le coin du mur, un espace libre a été ménagé. C’est par ce chemin que la tégénaire se dérobera si elle se croit inquiétée. Au-dessous de la toile est établi un hamac spacieux où elle peut se réfugier. Au moment de sa ponte, elle installe ses œufs dans une coque soyeuse qu’elle cache sous des corps étrangers, duvet ou brins de mousse, afin de la dissimuler aux convoitises des animaux qui prisent les mets délicats. Durant l’incubation, l’excellente mère est presque sans cesse en