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au printemps, demeurent quelques semaines rapprochés les uns des autres, comme en une famille, puis se dispersent pour aller vivre dans l’isolement où se complaisent en général les filles d’Arachné.

En différentes parties des Indes orientales, au milieu des îles de l’Océan-Pacifique, habitent les brillantes épéïres, de proportions superbes. Les espèces sont nombreuses, et, en beaucoup d’endroits, les individus sont en multitude. Plusieurs de ces araignées aiment s’établir au-dessus des cours d’eau, et c’est là que le spectacle qu’elles offrent aux yeux est le plus ravissant. Qu’on essaie de se figurer une rivière, paisible ou torrentielle, bordée d’une exubérante végétation, un fouillis où les plantes les plus disparates se confondent pour former l’ensemble le plus harmonieux. Des fleurs étranges se détachent dans les massifs verdoyans, des arbres projettent des branches qui s’inclinent et s’enchevêtrent. A la hauteur des grands arbres, des épéïres ont fixé leurs toiles d’une rive à l’autre, et, de la pirogue que manœuvre l’insulaire, le voyageur éprouve une surprise à la vue de ces constructions aériennes si délicates, qui se succèdent souvent à de courts intervalles, donnant au paysage des effets inattendus. Sur chacune de ces toiles apparaît d’ordinaire la grosse araignée, tantôt immobile, tantôt frémissante, si elle est aux prises avec une victime. A certains momens de l’année se dessinent, suspendus aux réseaux aériens, des globes jaunes comme l’or. Ce sont les coques qui renferment les œufs. En édifiant leurs filets au-dessus des torrens, les épéïres sont conduites par le plus heureux instinct ; au sein d’une végétation particulièrement touffue elles trouvent de vastes espaces libres propices à une large installation. Là, mieux qu’ailleurs, elles échappent à des ennemis voraces, avec la bonne fortune de prendre aisément au piège des cohortes d’insectes dont elles se nourrissent. Ce ne sont pas seulement des mammifères et des insectes, des lézards et des oiseaux qui se montrent friands d’araignées. Par le monde, chez une infinité de peuplades, les belles fileuses sont regardées comme un mets délicieux. Aussi, une grosse espèce, très répandue dans les archipels de la Polynésie, très recherchée des insulaires, est-elle appelée l’épéïre comestible[1].

En 1862, M. Dupré, capitaine de vaisseau, avait reçu la mission de se rendre à Madagascar pour complimenter, au nom du gouvernement français, le roi Radama II de son avènement au trône. A l’Ile de la Réunion, le commandant avait eu l’heureuse inspiration d’inviter à l’accompagner le docteur Vinson, médecin à Saint-Denis. Doué de l’esprit d’observation qui fait jaillir des clartés partout où

  1. Epeïra edulis.