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villages. C’est qu’on ne songe guère aux araignées sans penser à la vie solitaire des individus et même à l’isolement calculé afin d’éviter les rencontres. Évidemment, les araignées maçonnes ne vouent pas aux êtres de leur race l’antipathie qui longtemps sembla de règle absolue dans le monde dont nous esquissons l’histoire. On ne tarda point à en apprendre davantage. Tandis que, partout ailleurs, dans ce monde étrange, le rapprochement des mâles et des femelles n’est que d’un instant et comme une surprise des mâles, chez les cténizes, les mœurs sont plus douces et rappellent les habitudes de nos plus gentils oiseaux. Seulement, les oiseaux bâtissent un nid pour élever leur famille ; en vue de la couvée, les maçonnes n’ont besoin de rien édifier ; elles ont un domicile permanent. En vérité, quand on possède une jolie demeure, un intérieur charmant, dirait-on parmi les hommes, n’est-ce pas la condition heureuse pour constituer un ménage ? Les cténizes agissent d’instinct, comme si elles en avaient conscience. A l’époque de la reproduction, un mâle est admis dans la résidence d’une femelle ; il y fera un séjour. La ponte effectuée, les époux semblent veiller sur le dépôt dans la meilleure entente et avec une égale sollicitude. Les petits éclosent et grandissent ; durant le premier âge, la nourriture doit leur être apportée. A un moment ainsi, toute une famille est au nid ; mais les jeunes sujets ont grandi et, de même que les oiseaux dont les ailes sont devenues assez fortes pour leur inspirer confiance, ils quittent les parens sans souci des soins maternels dont ils ont cessé d’avoir besoin et comme avides d’indépendance. Déjà, le père et la mère, oubliant le lien qui les avait attachés l’un à l’autre, se sont séparés et ont repris avec l’isolement la liberté. En observant un mâle dans la cellule de la femelle, on va jusqu’à soupçonner que plusieurs portes lui sont ouvertes, — les femelles sont nombreuses et les mâles assez rares.

On savait où l’on pouvait comprendre toutes ces choses, lorsqu’un ami de la nature, l’ingénieux investigateur dont nous résumions autrefois les recherches sur les fourmis moissonneuses, Traherne Moggridge, entreprit de pénétrer davantage les secrets de la vie des araignées-maçonnes. Tout d’abord, il voulut voir à l’œuvre les habiles ouvrières, mais comme elles travaillent la nuit, il est malaisé de les surprendre pendant leurs opérations. Avec de la patience et de la sagacité, on peut aller loin dans la voie des découvertes. Le pauvre jeune homme, qu’une santé déplorable condamnait à une mort prochaine, avait les qualités qui conduisent au succès. Il sera un bon guide pour suivre maçonne ou pionnière se livrant à l’édification d’un nouveau logis lorsqu’un accident l’a privée de son séjour habituel. Elle exécute vite sans négliger aucun soin et comme