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sur la scène de la même façon que leurs chefs-d’œuvre, et qui ne sont pas devenus, comme ceux-ci, des textes quotidiens pour les écoliers ; la raison de la réserve où sont demeurés ces ouvrages, c’est apparemment qu’ils étaient moins beaux et attachés plus proprement à une époque ; n’importe : c’est eux qu’on va retirer de l’ombre pour célébrer leurs auteurs. On acquerra ainsi le brevet d’amateur de raretés ; d’ailleurs, en s’accordant le superflu, on donnera élégamment à entendre qu’on ne manque pas du nécessaire. Enfin, de bonne foi, on trouvera dans ces épreuves quelque peu de plaisir, et, comme on n’est guère habitué à en recevoir des classiques, on se contentera de ce peu-là. On découvrira, dans ces rencontres, que ces grands hommes sont des hommes, et on leur saura gré de leurs faiblesses : on sera bien aise de traiter avec eux plus familièrement qu’on ne faisait. On découvrira aussi que ce sont des hommes d’une certaine date : on s’amusera, par ce goût du bibelot qui est si vif aujourd’hui, des marques qu’ils en portent ; et, si quelques-unes de ces marques ont des analogues en d’autres siècles, voire de nos jours, on regardera en souriant ces analogies. Et voilà pourquoi, en un jour de fête, l’Odéon reprend les trois premiers actes de l’Illusion comique, et la Comédie-Française le troisième acte de Psyché ; voilà pourquoi la Comédie-Française nous donne aujourd’hui les Fâcheux, et nous promet, pour l’hiver prochain, Psyché tout entière.

De Racine il n’est pas question dans cette campagne : c’est qu’il est moins en faveur ; c’est aussi qu’il n’a pas cet arrière-magasin bien fourni dont Corneille et Molière offrent les ressources. A part la Thébaïde et Alexandre, on a cet ennui, chez Racine, de ne trouver que des chefs-d’œuvre. Mais Corneille, mais Molière est plus avantageux : les Fâcheux ! Psyché tout entière ! A l’aspect de ce régal, on cligne de l’œil, on se lèche délicatement les lèvres. Qu’est-ce donc que Psyché ? qu’est-ce que les Fâcheux ?

En ce temps-là, — c’est du temps où il vivait que je parle, — Molière n’était pas dieu. Il l’est, à présent, souverain dieu du théâtre, des lettres françaises, de la psychologie, de la morale. Mais j’avais mieux dit d’abord : il est dieu tout court ; il est Molière parce qu’il est Molière ; on ne pense pas qu’il ait de commencement ni de fin ; et où est-il ? Molière est partout. Quelquefois cependant, par un effort de réflexion, nous nous rappelons qu’il a eu, plutôt à une époque qu’à une autre, une existence terrestre. Alors, pour nous, Molière est un grand homme, sous lequel a régné Louis XIV ; le siècle de Louis XIV, ce considérable espace de la vie de l’humanité, Molière l’a rempli et comblé de sa gloire. Mais, tout de bon, reportons-nous à cette époque, et regardons les choses d’un peu plus près.

En ce temps-là, c’est-à-dire pendant une quinzaine d’années,