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Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 76.djvu/519

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fin tragique, et qu’il y avait dans l’obscurité toute une jeunesse prête à faire pour ainsi dire explosion, des inconnus destinés à remplir le monde de l’éclat de leurs actions et de leur nom, à commander des armées et des peuples, même à ceindre des couronnes? Qui aurait fait ce rêve en 1788? c’est pourtant ce qui est arrivé. C’est l’histoire de ces vingt-cinq années qui vont de 1789 à 1815, pendant lesquelles se déroule, à travers les conflits sanglans et les catastrophes, le plus grand des drames, un drame où tout est en jeu, et les principes des sociétés et les droits des dynasties, et l’indépendance des peuples et les conditions de l’ordre universel. Vingt-cinq années durant, la lutte est engagée entre cette force nouvelle qui s’appelle la révolution française, qui apparaît tour à tour sous la forme d’une démocratie déchaînée ou de la dictature éclatante du génie, et toutes les forces d’ancien régime dispersées dans la vieille Europe. Aux convulsions intestines se joignent les chocs des armées sur tous les champs de bataille. Les guerres sont à peine interrompues par des paix qui ne sont que des trêves. Les péripéties se succèdent, et à toutes les phases du terrible drame, dans tous les camps, pour toutes les causes, surgissent les hommes nouveaux : politiques, soldats ou diplomates improvisés au feu des événemens.

Aborder la vie à une de ces époques de commotions extraordinaires où tout se renouvelle, et se trouver bientôt conduit à représenter une tradition, une cause dans les conflits des empires ; avoir sa place et son action dans les plus grandes affaires, dans les délibérations souveraines aux heures où se joue le sort des états, et rester pendant quarante ans une sorte d’oracle des chancelleries, le conseil des princes, l’arbitre des situations critiques, c’est une fortune rare. C’est la destinée de M. de Metternich d’avoir été, au commencement et dans la première partie de ce siècle, un des acteurs du grand drame, un représentant de la politique de vieil équilibre et d’ancien régime dans la lutte du continent contre la révolution française et contre l’empire napoléonien, un des régulateurs de la victoire européenne après le combat ; c’est sa fortune d’avoir été mêlé à tout et d’avoir quelquefois décidé de tout, de s’être fait, dans le mouvement des choses, le rôle et la figure d’un personnage de l’histoire. Que lui a-t-il manqué? Il avait la naissance, il a eu le pouvoir, les dignités, les faveurs de cour, l’influence dans les affaires du monde. Il a vu passer les grandeurs humaines et il leur a survécu. Il a été la personnification d’un système pour l’Autriche, qui a retrouvé par lui l’apparence de l’ancienne suprématie impériale brisée à Austerlitz,-;-pour l’Allemagne, qui a longtemps subi sa prépotence, — pour l’Europe, qui a vu en