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allé attendre ce que les événemens feraient de lui. Pour le moment, pendant que la guerre sévissait plus que jamais sur les frontières et que la diplomatie s’effaçait, les parens du jeune Clément de Metternich lui préparaient une grande alliance. On le mariait avec la petite-fille de M. de Kaunitz, fille du prince Ernest de Kaunitz-Rietberg, et le mariage s’accomplissait dans une terre de famille, en Moravie, — à Austerlitz. Quelles combinaisons étranges il peut y avoir dans les préliminaires obscurs d’une grande vie ! A Strasbourg, Clément de Metternich, simple étudiant, avait passé à côté d’un jeune officier d’artillerie, de Bonaparte lui-même, sans le connaître, et il avait été l’hôte familier du duc Maximilien de Deux-Ponts, alors colonel du régiment de Royal-Alsace, — depuis premier roi de Bavière, créé de la main de Napoléon. A Francfort, il avait ouvert le bal du couronnement de l’empereur François avec la jeune princesse de Mecklembourg, amie de sa famille, qui allait être bientôt la séduisante et infortunée reine Louise de Prusse. Maintenant, il se mariait dans un petit village de Moravie sans se douter que ce paisible et obscur coin de terre serait ensanglanté et illustré par le génie des batailles. Tous ces noms, tous ces personnages encore inconnus devaient se retrouver et avoir leur place dans l’histoire!

Fixé dans sa vie de famille par un mariage qui unissait deux grands noms, jeune, déjà brillant et instruit. Clément de Metternich avait passé ces années à Vienne, qui était alors comme une capitale du continent en guerre avec la France et qui réunissait une société d’élite. Il partageait son temps entre l’étude des sciences, qui était, à ce qu’il assure, sa vocation, et la vie mondaine, pour laquelle il avait encore plus de goût. Il voyait dès lors assez souvent le prince de Ligne, ce représentant léger et hardi du bel esprit français et de la société du XVIIIe siècle. Il était l’hôte assidu du salon de la princesse Charles de Lichtenstein, qui avait été du cercle familier de Joseph II et qui rassemblait autour d’elle tout ce que Vienne comptait de femmes brillantes, d’étrangers, d’émigrés français. Il remplissait aussi ses devoirs de cour auprès de l’empereur François, qui ne manquait jamais de lui recommander de ne pas s’oublier dans sa paresse mondaine, de se tenir à sa disposition. Il n’était sorti qu’un instant, aux derniers jours de 1797, de son inaction, pour aller, comme délégué des comtes de Westphalie u comme secrétaire de son père, au congrès de Rastadt, à cette réunion qui devait finir d’une façon tragique et qui était le commencement des funérailles de l’empire d’Allemagne. Pour la première fois, la diplomatie du directoire de la république française et la diplomatie de la vieille Europe se rencontraient dans un congrès. Jusque-là Metternich n’avait vu la révolution que de loin ;