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voulait gagner beaucoup sans se lier avec personne. C’est la situation où M. de Metternich avait à remplir son rôle.

Il était arrivé à Berlin à la fin de 1803, après avoir passé quelques mois à l’abbaye sécularisée d’Oschenhausen, que son père, le vieux comte de Metternich, venait de recevoir, avec le titre de prince, de l’empereur François en dédommagement de ses biens perdus sur la rive gauche du Rhin. Personnellement il ne pouvait qu’être bien accueilli dans une cour gardée par une sévère étiquette, mais ouverte pour lui par le roi Frédéric-Guillaume III, qu’il avait connu prince royal à Coblentz en 1792 et par la grâce de la reine Louise, cette princesse de Mecklembourg avec laquelle il avait, dix ans auparavant, ouvert le bal de Francfort au couronnement de l’empereur François. Politiquement, il tombait du premier coup au milieu des divisions qui partageaient la cour et la société berlinoise. Dans une partie de ce monde prussien, dans l’armée, la haine de la révolution française, les passions d’ancien régime, les ardeurs belliqueuses régnaient; on ne respirait que la guerre contre la France. De cœur, la reine Louise était la complice de ces passions personnifiées surtout dans un des fils du prince Ferdinand, dernier frère survivant de Frédéric II, dans ce jeune prince Louis qui devait finir en héros à Saalfeld et qui en attendant, avec son grand air et son courage chevaleresque, s’épuisait dans une vie de désordres, dans ce que M. de Metternich appelle les « mauvaises compagnies. » Le prince d’Orange, marié à une sœur du roi, dépossédé de ses états, avait naturellement les mêmes haines. D’un autre côté, la politique des bons rapports, même de l’amitié, d’une amitié intéressée et profitable avec la France, avait sa force à la cour et dans le gouvernement. Elle avait été longtemps représentée par un autre frère du grand Frédéric, par le prince Henri, tant qu’il avait vécu ; elle était représentée encore par M. de Haugwitz, l’habile et artificieux ministre des affaires étrangères, qui restait le garant de la neutralité prussienne, par le secrétaire du cabinet, M. Lombard, qui avait été envoyé à Bruxelles, pendant le voyage du premier consul en 1802 et qui en était revenu ébloui. C’était ce qu’on appelait le parti français.

Entre ces deux camps, le roi Frédéric-Guillaume III, indécis et craintif de caractère, se dérobait par sa faiblesse, n’ayant d’autre politique qu’une insurmontable aversion pour la guerre. Il avait gardé d’une entrevue qu’il venait d’avoir à Memel avec l’empereur Alexandre Ve des souvenirs qui créaient entre les deux familles souveraines un lien de sentiment ; il se défendait d’entrer dans des engagemens plus précis, et s’il écoutait parfois volontiers tout ce qu’on lui disait sur la nécessité de s’unir dans l’intérêt européen, il se hâtait de réclamer le secret le plus absolu en répétant toujours :