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Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 76.djvu/531

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arrêtée entre l’Autriche et la Russie par le traité du 6 novembre 1804, et les deux cabinets réunis se hâtaient de concentrer leurs efforts à Berlin pour décider l’accession de la Prusse, tandis qu’un plénipotentiaire russe pariait pour Londres. On ne parlait pas encore de guerre il est vrai, on ne parlait que d’une alliance défensive pour la sûreté de l’Europe, d’une médiation à offrir dans la guerre maritime dont le continent souffrait dans ses intérêts. La coalition ne serrait pas moins ses nœuds, et les événemens ne pouvaient tarder à se précipiter.

L’illusion de l’Autriche, plus intéressée que les autres puissances à tout ce qui se préparait, était de croire que ce travail de diplomatie et les armemens qu’elle multipliait à l’appui de ses combinaisons, échapperaient jusqu’au bout à celui qu’elle craignait, qu’elle n’osait encore défier ouvertement. Si occupé qu’il fût de ses préparatifs maritimes et militaires des côtes de la Manche, le premier consul devenu empereur ne détournait pas son attention du centre de l’Europe. M. de Metternich s’est cru autorisé à dire que le camp de Boulogne n’avait jamais été qu’une fausse démonstration, que Napoléon n’avait jamais eu l’intention de tenter la descente en Angleterre, que, dans sa pensée, l’armée de la Manche avait été « de tout temps l’armée contre l’Autriche. » Il assure même que, quelques années après, l’empereur lui en avait fait un jour l’aveu dans un entretien familier. L’empereur, ce jour-là, s’amusait à laisser croire ce qu’il voulait et M. de Metternich, pour un si fin diplomate, se laissait abuser. Assurément Napoléon s’était dit plus d’une fois qu’il pouvait y avoir plusieurs manières de vaincre l’Angleterre, qu’une de ces manières était de l’atteindre dans ses alliés du continent, et c’est ce que l’empereur François lui-même exprimait à sa façon, dès 1803, lorsque, dans un épanchement assez naïf, il disait à l’ambassadeur de France, M. de Champagny : « Si le général Bonaparte, qui a tant accompli de miracles, n’accomplit pas celui qu’il prépare, s’il ne passe pas le détroit, c’est nous qui en serons les victimes ; il se rejettera sur nous et battra l’Angleterre en Allemagne. » Ce n’était qu’une éventualité à peine entrevue. En réalité, il n’est point douteux que tout avait été sérieux dans la pensée première de cette entreprise de Boulogne, dont le premier consul ne se dissimulait pas les dangers, et où il était néanmoins résolu à s’engager, à « risquer sa gloire, » comme il le disait d’un accent plein de grandeur dans sa conversation fameuse avec lord Withworth.

Ce n’était point évidemment pour une fiction, pour une fausse démonstration qu’il déployait un si merveilleux génie d’invention et d’organisation dans ses armemens de la Manche. Jusqu’au dernier moment, il prétendait rester tout entier à la « guerre maritime. » Il ne se détournait tout à coup que le jour où, de son regard prompt