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Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 76.djvu/536

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du temps de Marie-Thérèse. M. de Metternich avait alors à peine trente-trois ans. Il avait une tournure élégante, l’aisance du gentilhomme, le goût du plaisir allié à l’habitude des affaires, la séduction des manières, une ambition souple et avisée; il ne demandait pas mieux que de réussir, et presque aussitôt il se trouvait accrédité par sa jeunesse et par son esprit dans ce monde tout nouveau de l’empire qu’il voyait pour la première fois, qui, sous une main toute-puissante, visait à faire revivre les formes, les usages, les traditions de l’ancienne société française.

Monde étrange que ce monde impérial, qui eut son plus vif éclat, l’éclat d’une renaissance sociale, de 1804 à 1809 ! Plus tard, il prit d’autres caractères ; il eut plus de pompe, et s’était fait rapidement à l’étiquette et aux habitudes monarchiques. On n’en était encore qu’aux débuts en 1804, au lendemain du sacre, à ces premières heures où tout semblait extraordinaire. Ils étaient tous jeunes dans ce monde nouveau, le chef qui éclipsait tout, les lieutenans, maréchaux et dignitaires de l’empire à trente-quatre ans, les femmes de ces fiers soldats, brillantes de leurs vingt ans et de leur beauté : Mme Lannes, Mme Davout, Mme Junot, Mme Ney, Hortense Beauharnais, Pauline Bonaparte, qui, avant de devenir princesse Borghèse, avait été Mme Leclerc, Caroline Bonaparte, qui n’était encore que Mme Murat. Presque toutes ces jeunes femmes avaient été élevées chez Mme Campan, à Saint-Germain, où elles s’étaient connues, où elles formaient d’avance un essaim de futures princesses, de futures dames du palais. Napoléon, avec l’impétuosité qu’il mettait à tout, voulait avoir sa cour, une société renouvelée ; il en trouvait les premiers élémens parmi les jeunes femmes de ses lieutenans, dans les familles qu’il élevait avec lui, et par une pensée qui pouvait être un calcul de règne, qui avait aussi sa grandeur, il voulait réunir dans sa cour, dans la société qu’il prétendait reconstituer, les plus vieux noms de France et les fortunes nouvelles. Il mêlait dans les services d’honneur, dans la maison de l’impératrice, une La Rochefoucauld, une Montmorency, une Mortemart, Mme de Luçay, Mme de Rémusat, la maréchale Lannes, la maréchale Ney, Mme Savary, comme il nommait dans sa maison M. de Talleyrand grand-chambellan, M. de Ségur grand-maître des cérémonies, Berthier grand-veneur, M. de Caulaincourt grand-écuyer. Il organisait dans le même esprit les maisons des autres membres de la famille impériale. Tout cela se ressentait naturellement d’une origine soldatesque, de la hâte avec laquelle tout devait se faire, du caractère de l’homme qui présidait à cette vaste et curieuse reconstitution.

Napoléon, en renouvelant les cadres de la société française, voulait y remettre la vie ; il croyait y réussir en faisant une obligation