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La tâche était certes difficile et délicate pour le successeur de M. de Stadion, qui n’entrait, d’ailleurs, réellement et définitivement dans son rôle de ministre des affaires étrangères qu’à la paix du 14 octobre. Cette paix, que le nouveau ministre, pour son début, avait à exécuter, était cruelle. L’Autriche restait dans un cercle de fer, séparée désormais de l’Adriatique, entourée d’une ligne d’états placés sous la dépendance de Napoléon. Elle gardait toujours cependant, après tant de désastres, une masse compacte, vigoureux noyau d’un grand empire. Le nouveau ministre n’avait pas à aller chercher bien loin un système. Sa première pensée était et devait être qu’il fallait avant tout préserver ce noyau de la puissance autrichienne, le fortifier, réparer les maux des dernières guerres et laisser le temps, la force des choses faire leur œuvre dans une Europe troublée. Il croyait, il pressentait que la situation du continent était trop extraordinaire pour être durable, que Napoléon, dans ses emportemens de génie et de conquête, avait évidemment déjà dépassé les limites du possible, que ses excès de domination seraient suivis d’une inévitable ruine. « Le quand, le comment, ajoutait-il, étaient pour moi des énigmes. » En attendant, l’Autriche n’avait qu’à se tenir tranquille, à éviter de se compromettre dans des entreprises nouvelles qui seraient une « pure folie. » l’Autriche, disait-il à l’empereur François, qui l’approuvait, l’Autriche devait « s’effacer, louvoyer, composer avec le vainqueur, prolonger son existence jusqu’à la délivrance commune, » à laquelle on ne pouvait songer sans l’assistance de la Russie, qui était une cour à l’esprit flottant, aux desseins menaçans. « Nous n’avons donc, poursuivait-il, qu’un parti à prendre ; il faut que nous réservions nos forces pour des temps meilleurs, et que nous travaillions à notre salut par des moyens plus doux, sans nous préoccuper de la marche que nous avons suivie jusqu’ici. » Il subissait le présent, il réservait l’avenir, c’était toute sa politique. Il cherchait sa voie sans se dissimuler les difficultés, lorsque tout à coup, pour l’Autriche, dans cette détresse du lendemain de Wagram, s’ouvrait un horizon nouveau : avant que l’année 1809 fût achevée, la question du divorce et d’un nouveau mariage de Napoléon venait d’éclater !

À vrai dire, l’événement qui excitait la curiosité de l’Europe ne pouvait avoir rien d’imprévu pour M. de Metternich. Au temps de son ambassade à Paris, dès la fin de 1807, il était déjà assez sûrement informé, par ses rapports avec Fouché ou par ses liaisons avec la princesse Murat, pour pouvoir donner à sa cour les détails les plus précis sur ce qu’on pourrait appeler la conspiration du divorce et sur le projet de mariage de Napoléon avec une grande-duchesse de Russie. Il avait vu poindre ce projet, qui était certes