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que de précision, dans un rapport à l’empereur François. Que l’orage dût éclater entre la France et la Russie, il n’en doutait pas après avoir écouté Napoléon. Il pensait seulement et il disait que la paix matérielle du continent ne serait pas troublée en 1811, que cette année passerait sans doute en défis plus ou moins déguisés, en préparatifs militaires, que Napoléon ouvrirait la campagne au printemps de 1812, et il ajoutait : «La neutralité armée sera l’attitude que l’Autriche devra prendre en 1812. L’issue de l’entreprise excentrique de Napoléon nous indiquera la voie que nous aurons à choisir par la suite. Dans une guerre entre la France et la Russie, l’Autriche aura une position de flanc qui lui permettra de se faire écouter pendant et après la lutte... » Par une coïncidence curieuse qui justifiait ses prévisions, à son arrivée à Vienne, il trouvait une proposition portée par le comte Schouwalof et offrant à l’Autriche une alliance secrète pour la défense des deux empires contre toute agression, c’est-à-dire contre la France. — Arriver de Paris l’esprit tout plein des fêtes du mariage et des protestations d’amitié de Napoléon pour signer aussitôt un traité, fût-ce un traité défensif, contre la France, c’était un peu exagéré et un peu prompt. M. de Metternich déclinait la proposition : il s’étudiait toutefois à rassurer la Russie, à réserver l’avenir avec elle, de même qu’il mettait dès lors ses soins à renouer des liens avec la Prusse, qui était « au plus bas, » à rendre courage au roi Frédéric-Guillaume III en lui promettant l’amitié et l’appui de l’empereur François.

Ainsi, une année à peine après Wagram, l’Autriche avait repris assez de vie et de crédit pour être sollicitée et écoutée. Elle n’avait pas reconquis des possessions perdues, elle avait retrouvé une sorte d’indépendance au milieu des conflits d’ambitions et d’influences qui menaçaient encore l’Europe. Napoléon était tout prêt à lui assurer des avantages si elle voulait entrer dans ses vues à l’égard de la Russie; la Russie lui offrait ou lui demandait une alliance contre la France. M. de Metternich avait la fortune d’être le ministre de cette situation nouvelle, qu’il avait contribué à créer, où l’Autriche, — c’était son système, — n’avait qu’à attendre, à rester libre entre la France et la Russie, à suivre la grande partie européenne qui allait bientôt se jouer. s’il n’avait pas le génie des fortes combinaisons, il avait l’art de profiter des circonstances, peu de scrupules, et, pour le succès, il était homme à étonner le monde par la dextérité de ses combinaisons, par l’aisance avec laquelle il pouvait, au besoin, sacrifier une archiduchesse impératrice après s’être servi de son élévation au plus brillant des trônes.


CH. DE MAZADE.