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Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 76.djvu/589

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une seule route, on se demande ce qu’on peut faire d’un coupé, sinon s’en servir comme décor dans une réception d’ambassade. Toutefois, il paraît que Moula-Hassan essaie parfois de se promener dans celui de Mekhnès; c’est même pour cela qu’on a supprimé, non seulement à celui-là, mais aux deux autres, le siège du cocher, de peur que ce dernier étant assis ne dominât le sultan, ce qui aurait été intolérable. Bien souvent, les présens de l’Europe sont ainsi absolument inutiles aux Marocains. Quelquefois même, ils sont contraires à leurs croyances et leur produisent l’effet d’une offense. L’Allemagne et l’Italie n’ont rien imaginé de mieux que d’envoyer au sultan du Maroc les portraits de l’empereur Guillaume et du roi Victor-Emmanuel : ces portraits, bien entendu, n’ont jamais pénétré dans l’intérieur du palais; à peine les ambassades qui les portaient avaient-elles quitté Fès qu’on les plaçait le visage contre le mur dans une cour réservée aux détritus dont on veut se débarrasser.

Nous remontâmes à cheval au bruit de salves d’artillerie qui faisaient retentir l’air de leurs détonations multipliées. L’usage voulait qu’on allât visiter un des jardins du sultan : nous y allâmes donc, bien que ce jardin n’eût absolument rien de remarquable. Pendant la route, le caïd raha se tenait auprès de moi pour connaître mes impressions. « Eh bien! me disait-il, que penses-tu du sultan? Le trouves-tu beau? Est-ce un grand prince à tes yeux? T’a-t-il beaucoup frappé ? En diras-tu du bien à tes compatriotes ? — Je lui répondis très sincèrement qu’en effet je trouvais Moula-Hassan fort beau, que j’admirais son grand air, la noblesse de ses allures, la dignité de son maintien, la souveraine élégance de sa parole, et que je ne manquerais pas de l’écrire pour l’instruction de mes compatriotes. J’ajoutai même, désirant lui être tout à fait agréable, que j’avais vu plusieurs fois le sultan de Constantinople aller à la mosquée, et que, malgré l’éclat des uniformes qui l’entouraient, malgré la superbe prestance des troupes de sa garde, je le trouvais petit et mesquin à côté-du sultan du Maroc. « Ah! s’écria-t-il, c’est qu’Abdul-Hamid est un Turc et qu’aucune goutte du sang de Mahomet ne coule dans ses veines. Ne le compare pas à Moula-Hassan! Le dernier seul est calife, et seul il peut se dire le prince des croyans : émir el-moumenin! »


X. — LE SULTAN.

Je n’ai vu de près qu’une fois le sultan Moula-Hassan dans la cérémonie de la réception de l’ambassade ; mais il m’est arrivé souvent