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bras ; le sage Dioclétien aurait dû le comprendre. On prétend d’ordinaire qu’il fut entraîné aux mesures de rigueur par un de ses collègues, le césar Galérius, qui était un païen fanatique ; mais je crois qu’on peut lui en laisser l’initiative : il n’était pas nécessaire qu’on l’excitât contre les chrétiens, et, par lui-même, il avait des raisons de ne pas les aimer. Cet homme, de naissance servile et presque de race étrangère, avait tous les sentimens d’un vieux Romain : il était conservateur de nature et de principe. Il tenait aux traditions anciennes et regardait le respect du passé comme le salut de l’état. « C’est un grand crime, disait-il dans un de ses édits, de vouloir défaire ce qui, une fois établi et fixé par l’antiquité, conserve depuis lors sa marche régulière et sa situation légitime. » On voit qu’il parlait comme Caton Après avoir ramené la paix et l’ordre matériel dans l’empire, pour fonder un établissement durable, il voulait restaurer les anciennes institutions. Il lui sembla donc utile de maintenir par tous les moyens la religion nationale. Il est probable qu’il était dévot lui-même, — il n’y avait guère alors de libres penseurs, — mais, dans tous les cas, la dévotion lui paraissait un bon moyen de gouvernement. Nous venons de voir qu’il se faisait adorer ; il aspirait à paraître une sorte d’incarnation de Jupiter sur la terre, et il avait pris officiellement le nom de Jovius. Il était donc amené à considérer les ennemis de Jupiter comme les siens et à faire de l’incrédulité un crime d’état. Il est vraisemblable aussi que, quand il se jeta dans cette malheureuse affaire, il n’en vit pas d’abord la gravité. Jusque-là, tout à peu près lui avait réussi, et il ne se doutait guère qu’il est quelquefois plus difficile de forcer les consciences que de battre de vaillantes armées. Il avait cette sorte d’infatuation ordinaire aux grands administrateurs, qui leur fait croire qu’ils peuvent venir à bout de tout. On le vit bien quand il publia son fameux édit du maximum, dans lequel il prétendait fixer d’une manière définitive le prix de toutes les denrées, pour empocher désormais les crises commerciales. La leçon cruelle qu’il reçut à cette occasion ne le guérit pas de croire à la toute-puissance de l’état : il attaqua le christianisme et fut une seconde fois vaincu. La persécution, qui, dans les premières années au moins, fut très rigoureuse, n’eut d’autre résultat que de fortifier cette secte qu’il se flattait d’anéantir et de lui donner plus d’importance. Au lieu de détruire les chrétiens, comme il l’espérait, il les mit en situation de devenir tout à fait les maîtres et de supplanter l’ancienne religion.


II

Dans cette guerre faite au christianisme, l’un des princes qui gouvernaient l’empire, le césar Constance Chlore, semble avoir gardé