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Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 76.djvu/630

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en français, selon l’usage du temps, un Éloge ou monument funèbre, à la mémoire de sa jeune femme qu’il a perdue :


... Reviens, ô souvenir de cette admirable soirée de printemps où je me promenais, entre la bien-aimée et sa chère sœur, au bord de cette forêt majestueuse et paisible, sous les rayons argentés de la lune, tandis que les eaux murmuraient doucement et que le rossignol élevait sa douce plainte; mon cœur battait à l’unisson de ces lieux enchantés, je sentais la beauté de la terre, et la beauté plus grande encore de l’innocence, qui habitait dans le cœur dont je me savais aimé[1].

Cet épanchement lyrique porte la date de 1774, l’année même où paraît Werther.

Vers le même temps, Fritz Jacobi et son frère, voyageant sur les bords du Rhin, traversent une vallée remplie de pommiers en fleurs. Fritz presse doucement la main de son frère, ils se regardent avec une tendre émotion, un sentiment tranquille humecte leurs paupières et « ils bénissent la contrée avec le saint baiser de l’amitié. » Ils se rendent à petites journées près d’une femme de lettres, Sophie de La Roche, qui réunit autour d’elle, à Ehrenbreitstein, les plus beaux esprits : Klopstock, Lavater le physionomiste, Jung Stilling le visionnaire, et le jeune Goethe. Wieland brûle pour cette divine Sophie d’une flamme immatérielle; M. de La Roche, le mari, sert de confident. Mais, en dépit de ses allures passionnées, et tout en jouant la Julie de Saint-Preux, Mme de La Roche, lorsqu’il est question de marier ses filles, agit en mère positive qui connaît le prix de l’argent. Loulou épousera un conseiller aulique « laid et bête à couper du foin, » et l’aînée, la charmante Maximiliane, le riche et avare épicier Brentano[2]. « Ce fut, écrivait Merck, un triste phénomène pour moi de chercher notre amie entre des tonneaux et des piles de fromage. » Ces contrastes nous semblent plaisans ; mais prenons garde que les affectations de notre temps ne prêtent bientôt à sourire. La mode d’aujourd’hui sera le ridicule suranné de demain.

Les femmes de Goethe ont moins vieilli. Quelle simple et aimable petite bourgeoise que cette Charlotte Buff, modèle de la Charlotte de Werther, idéal de la jeune Allemande, selon M. Hermann Grimm, ne rêvant que valse et Lieder. Mais, au moindre bruit qui liii vient de la chambre des enfans, elle oublie tout aussitôt sa danse et sa chanson, et court, anxieuse, se pencher sur un berceau. L’inspiratrice des plus beaux chants de Goethe, celle dont il

  1. Das Buch vom Fursten Bismarck, von George Hesekiel, p. 38.
  2. l’épicier fortuné sera le père du poète Brentano et de l’espiègle Bettina.