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développement en quelque sorte monstrueux, tout à fait disproportionné avec ce pays de la mesure. On éprouve aussi une certaine difficulté à démêler des traits communs bien saisissables entre des écrivains qui ont eu leur berceau dans cette même Touraine et à établir un rapprochement même subtil entre des poètes et des écrivains, comme Racan, l’auteur comique Destouches, Alfred de Vigny, Honoré de Balzac. Il est beaucoup moins difficile de demander la moyenne de cet esprit à cette masse rurale que n’a ni perfectionnée ni dénaturée aucune culture intellectuelle raffinée. Il y a là des qualités de finesse, une absence habituelle de rusticité trop marquée, un ton enjoué un peu narquois, une certaine ouverture mêlée de quelque lenteur, un jugement avisé plutôt que profond. Le parler est le plus souvent assez doux, et la langue bien française n’a guère de patois ni d’accent, relevée pourtant par quelques bons vieux mots qui sentent leur XVIe siècle. Il y a dans cet esprit et dans cette humeur comme un grain de malice et un léger levain d’opposition, qui ne tournent à la fronde que sous l’empire de quelque vif mécontentement ou d’une inimitié personnelle. Cela se sent dans les pamphlets où Courier, le vigneron de La Chavonnière, met en scène des passions de clocher qui s’échappent en boutades et en quolibets. C’est de la fronde contre les nobles, les prêtres, et, en général, contre l’autorité, représentée par les gendarmes et par M. le maire, La disposition à l’examen, combinée avec le mouvement peu vif de l’imagination et le manque d’enthousiasme, aboutit facilement au scepticisme. Nul fanatisme, mais peu de foi vive, d’ardeur, d’élan ; excellente terre d’honnêtes gens et de bons esprits qui ne voit guère éclore les grandes vertus qui font les apôtres, ni la grande imagination qui fait les génies puissans dans les arts et dans les lettres. La tiédeur domine dans les convictions et les sentimens de cette masse rurale. Elle est attachée à certains principes par ses intérêts, nullement disposée à attaquer rien de fondamental, mais l’espèce d’indifférence religieuse et morale, dont elle n’a pas le privilège parmi nos populations agricoles, y paraît pourtant d’une façon particulière. Ce n’est pas que, quant à la religion, par exemple, nul n’y tienne sérieusement, mais c’est une minorité assez faible dans le sexe masculin ; seulement la majorité y renoncerait difficilement dans les circonstances solennelles, et elle y voit un auxiliaire de la morale dans la famille. C’est encore une preuve de bon sens et de calcul qui n’a rien de commun avec l’enthousiasme.

Ge qui a gagné relativement au passé, c’est l’aptitude au travail. Les inclinations molles, le peu de goût de cette population pour les labeurs fatigans, ont été signalés par César et par le Tasse. On les retrouve encore à un certain degré chez l’ouvrier rural. Mais, si l’amour du bien-être n’a pas perdu de sa force chez ceux qui possèdent,